Ce plaidoyer, que j’ai l’honneur de livrer humblement à l’opinion publique mauritanienne, sur la thématique de l’unité islamique et républicaine de notre nation en construction et de la réalité de son identité plurielle, se veut un espoir et une ambition sincère de dialogue réel, honnête et franc.
Il est le fruit, d’un vécu, d’une quête de sens et de réflexions, de questionnements et de recherches, d’échanges et de rencontres, de doutes, d’autocritiques et même de remises en question, et enfin, d’une volonté de synthèse, de partage et de contribution modeste, qui se veut positive, à l’action globale et commune de construction de notre nation.
La Mauritanie est une nation en devenir qui a vécu plusieurs crises intercommunautaires importantes entre ses composantes, usuellement dénommées, arabo-berbères et négro-africaines, et, dont l’ambition affichée, par les différents régimes qui se sont succédés au pouvoir, d’éradiquer le fléau de l’esclavage ainsi que ses séquelles, s’est avérée être, pour l’instant, un échec. L’esclavage dans notre pays a en effet fait l’objet de plusieurs abolitions officielles itératives mais sans effet notoire. Des progrès ont pu être néanmoins enregistrés quant au règlement de ce qui est communément désigné comme le passif humanitaire ainsi que dans la lutte contre l’esclavage et ses séquelles, mais ils demeurent nettement très insuffisants.
Comment expliquer autrement, qu’en 2011, déposer une plainte pour esclavagisme « avéré » soit une mission quasiment impossible pour le plaignant, comme si l’appareil judiciaire et étatique dans son ensemble se portait complice du présumé coupable, ne voulant pas prendre le risque d’ouvrir la boîte de pandore, et donc décourageant ainsi, malgré le déni de justice que cela constitue, ce type de plainte ?
Comment expliquer aussi l’humiliation injuste et injustifiable que peut constituer pour beaucoup, ce qui devait être un simple recensement administratif à vocation d’état civil, et qui s’est finalement avéré être pour eux un véritable déni d’appartenance à la nation ?
Pourquoi l’outil commun que constitue l’État ne s’érige pas, activement, en garant des droits de tous et pourquoi est-il instrumentalisé de la sorte comme une véritable « arme de destruction massive » voulant maintenir, le plus longtemps possible encore, la majorité des mauritaniens dans l’oppression la plus abjecte, l’État ne servant ainsi, illégitimement, que le seul intérêt de ceux qui dominent ?
Pourquoi existe-t-il un décalage aussi patent entre le discours officiel régulièrement asséné et la réalité du vécu quotidien de la majorité des mauritaniens ?
Ces questionnements doivent nous interpeller et nous amener à nous engager dans une réflexion commune, profonde, pour nous permettre, d’identifier les obstacles au dialogue constructif, en alternative à l’actuel dialogue de sourd, afin de définir, dans le cadre d’une concertation et de manière consensuelle, le référentiel islamique et républicain de notre Nation ainsi que ses fondements, en particulier son identité plurielle.
Dans le but d’initier le débat sous un angle nouveau, nous proposons une thèse descriptive, régissant les rapports de pouvoirs entre mauritaniens. Nous voulons exposer notre conception de l’unité et de l’identité nationales selon une approche qui se veut précautionneuse du point de vue sémantique et rhétorique, pour ne pas faire le jeu des idéologies extrémistes de tous bords, instrumentalisées et érigées en opposition et qui se nourrissent les unes des autres de façon consciente ou inconsciente.
Nous affirmons, en dehors de toute considération tribale, ethnique ou raciale, que la construction de la Nation mauritanienne est confisquée, uniquement pour des enjeux de pouvoir, par une minorité hégémonique, aux dépens et au mépris, d’une majorité qui subit, avec la patience bienveillante qui caractérise nos compatriotes dans l’épreuve, malgré un statut d’infériorité qui lui serait sournoisement dévolu, confiants dans la justice divine.
Cette majorité, subissant la suprématie de la minorité hégémonique, laquelle l’a usurpée à l’État, est victime d’un système insidieux de discrimination et d’exclusion, à des degrés divers selon les périodes de pouvoir et selon les différentes composantes nationales concernées, néanmoins toutes opprimées. Elles sont, dans le moindre des cas, ignorées comme des laissés-pour-compte, ou, maintenues dans une forme d’aliénation psychologique et de dépendance économique qui ne serait qu’une mutation de l’esclavage atavique, ou alors, toujours de manière non assumée ouvertement, soumises à un certain ordre culturel et civilisationnel, unique et exclusif, tendant à les aliéner du point de vue identitaire. Toutes les composantes de notre société sont représentées à la fois dans la minorité hégémonique et chez ces différentes catégories d’opprimés.
Nous sommes finalement, toutes tribus, ethnies et races confondues, victimes, non seulement, de notre héritage féodal, avec une souveraineté en tant qu’État moderne acquise depuis peu, mais surtout, nous subissons le système manichéen dans lequel les hommes qui détiennent le pouvoir s’évertuent sans relâche à nous enfermer.
Il ne s’agit pas ici d’accuser une composante spécifique ou une autre, mais la critique est dirigée à l’encontre de ceux qui nous imposent la situation actuelle d’opposition identitaire, dont ils profitent, et qui entravent les tentatives d’alliance et les bonnes volontés de part et d’autre, seules à même de fournir des alternatives pour transcender les postures identitaires suicidaires.
Dans le contexte sociopolitique de notre pays, la grande difficulté, dans l’initiation d’un véritable dialogue, ne réside pas tellement, dans l’établissement du diagnostic de notre schizophrénie nationale identitaire, mais plus, dans la mise en œuvre de traitements adaptés qui sont paradoxalement accusés de maléfiques. En effet, l’expression des idées, les témoignages, les dénonciations d’injustices, les prises de position pour la lutte contre l’oppression, les propositions de solutions des contentieux historiques (esclavage, séquelles de l’esclavage et passif humanitaire), ne s’évaluent pas à l’aune des valeurs et des principes, mais plutôt en fonction d’une grille de lecture les qualifiant de plus ou moins extrémistes, instrumentalisant à outrance, et dangereusement, la logique de la réaction identitaire et la diabolisation de l’Autre.
L’objectif, en réalité, est de terroriser tous ceux qui pourraient être sensibles à la moindre dynamique endogène de libération selon la perspective de ceux qui subissent l’oppression.
Le seul modèle de libération possible et imaginable est celui qui a l’adhésion de l’ordre en place, que l’on suppose, selon la logique du proverbe « la fin justifie les moyens », comme le moins dangereux et le plus politiquement correct pour l’opinion publique. Toute autre tentative réaliste de libération est vécue et présentée comme une tentative de déstabilisation dangereuse pour l’unité nationale. En effet, le changement de l’ordre existant vers un ordre plus juste est craint par ceux qui profitent de la situation actuelle et qui le présentent comme un séisme dont nous ne nous relèverions pas. Il n y aurait ainsi que deux options : rompre avec la paix civile ou se résigner sans réserve à un modèle de libération validé par l’idéologie hégémonique, en réalité uniquement motivée par une volonté de statu quo.
Toute émergence d’une nouvelle conscience libératrice est combattue par la minorité hégémonique qui tente de la faire disparaitre en la discréditant, en la stigmatisant, en la marginalisant et en la diabolisant jusqu’à emprisonner certains de ses leaders afin que leur voix ne soit pas audible.
Le thème de l’unité de la nation mauritanienne semble cristalliser à lui seul l’essentiel de nos angoisses existentielles qu’elles soient d’ordre identitaire, culturel, idéologique ou politique. Mon ambition, qui est partagée par beaucoup d’hommes et de femmes, est, dans la phase actuelle que vit notre pays, de déconstruire les fantasmes identitaires et les stéréotypes ataviques à l’origine des contentieux historiques, qui accentuent la méconnaissance de l’Autre et continuent d’engendrer des craintes et des suspicions, voire de la haine, potentiellement génératrices de confrontations extrêmes que nous ne voulons plus revivre.
Il faut effectivement lutter contre nos fantasmes identitaires, alimentés par les extrémistes de tous bords, les analyser et les comprendre pour mieux les déconstruire et les effacer de la mémoire collective, sans gommer pour autant nos différences, ni brader la singularité de chaque composante de notre nation, chacune enracinée dans sa propre identité pour pouvoir s’ouvrir à l’Autre et espérer créer ainsi un espace commun de citoyenneté, c’est-à-dire, de liberté, d’égalité de tous devant les droits et les devoirs, de justice, de fraternité islamique, de solidarité, de respect et de dignité, où toutes les différences cohabitent, sans aucune inhibition, ni velléité de domination ou de hiérarchisation.
Nous devons agir maintenant et prendre le temps nécessaire pour construire notre Nation. Nous devons profiter de l’expérience de pays tels que l’Afrique du Sud et le Maroc qui ont réussi à se défaire de leurs démons et éviter l’exemple du Soudan qui n’a pas réussi à construire son unité. Profitons du socle commun qui est l’Islam et des dispositions naturelles de nos compatriotes pour atteindre nos nobles objectifs.
Le véritable défi à relever réside dans le fait de se réapproprier les valeurs communes islamiques et républicaines, en acceptant l’identité plurielle de la Mauritanie pour instaurer un vivre ensemble qui ne pourra se faire que si, de part et d’autre et tous ensemble, nous ne nous laissons plus guider par nos peurs et passions respectives.
L’unité islamique et républicaine est, dans notre entendement, un concept qui regroupe à la fois, celui d’« al Urwatoul al Wuthqa » qui nous est indiqué dans le Coran comme le lien indissoluble entre les croyants et Allah, ainsi que son corollaire, la fraternité, qui devrait exister par ce biais, entre tous les musulmans, mais aussi, celui de l’espace commun de citoyenneté que constitue une République au sens noble et moderne du terme.
Rappelons que le prophète Mohammed lui-même, à la tête de la cité de Médine, a établi un traité délimitant les droits et les devoirs de ses citoyens et qui portera le nom de ahd el medina (Pacte de Médine). Cette alliance écrite, qui commence et s’achève par la signature « Mohammed, le Prophète de Dieu » et qui peut être assimilée à la constitution de la République de Médine, s’est faite entre les Ansars, les Mouhajirounes et la tribu juive des Banou Awf. Il y figure l’énoncé du principe de citoyenneté, qui transcende les appartenances tribales, ethniques et raciales : « ils (les contractants du pacte) forment une seule et même Nation (umma wahida) ».
L’important dans l’affirmation de l’intangibilité de l’unité islamique et républicaine est que nous soyons tous frères en islam et que nous partagions de manière égale le même espace de citoyenneté avec un État équidistant par rapport à tous et par rapport à chacune des composantes nationales qui sont totalement en droit de se définir selon leur libre arbitre.
Effectivement, l’identité plurielle de la Mauritanie est une réalité qui a toujours été manifeste de par l’histoire et la géographie de notre pays, mais, pour beaucoup d’observateurs, elle n’a jamais été aussi prégnante que, depuis que la communauté harratine, à travers ses leaders, s’interroge sur son identité propre, après s’être saisie elle-même de ce qui est communément et pudiquement appelé « la question harratine ».
L’affirmation de la légitimité de l’identité plurielle de la Mauritanie ainsi que du caractère factuel et inaliénable de chaque identité communautaire, sans aucune omission, permettront à chacune de trouver sa place naturelle dans notre Nation unitaire et ceci sans hiérarchisation. Une fois nos différentes composantes identitaires ainsi sublimées, alors notre Nation deviendrait post-identitaire.
Nous sommes convaincus, confiants dans la toute puissance d’ALLAH, que si les enfants de la République Islamique de Mauritanie s’attellent, en toute sincérité d’intention, en s’acceptant et se respectant, et, en intégrant ce qu’il y a de commun dans la diversité humaine ainsi que les particularismes de chacun, sans concession face aux valeurs et aux principes et sans complaisance devant l’injustice, alors nous réussirons, malgré nos faiblesses et nos incertitudes, à parachever, sereinement et parfaitement, la construction de notre Nation, pré-requis à tout développement social, politique et économique, durable.
SOUMARÉ Outouma
Neurochirurgien des hôpitaux
Membre du collège de la CENI pendant la transition démocratique (2005-2007) et membre de la délégation du FNDD pour les négociations ayant abouti aux accords de Dakar en juin 2009.
Président de l’Avant-garde des Forces de Changement Démocratique (AFCD).
Président du comité d’organisation des Journées Commémoratives aux Martyrs d’Inal les 27 et 28 novembre 2011.