Que cache la Grande Muraille Verte
Que cache la Grande Muraille Verte
Projet transcontinental réunissant onze pays sahélo-sahariens, la Grande Muraille Verte a pour ambition d’armer les populations locales pour lutter contre la désertification.
Qu’est-ce que la Grande Muraille Verte (GMV)? Cette appellation à la fois énigmatique et poétique interpelle l’imaginaire. Et pour cause, la GMV est un ambitieux projet panafricain qui fait rêver. Pour lutter contre la désertification, il prévoit de relier Dakar (Sénégal) à Djibouti par une longue barrière verdoyante de 7.000 kilomètres de long sur 15 kilomètres de large. Cette initiative historique lancée officiellement en janvier 2007 veut répondre aux problématiques de plus en plus pressantes des populations du Sahel, dont les conditions de vie ne cessent de se dégrader.
En premier lieu, le Sahel (bordure, rivage, en arabe) désigne la bande de territoire située au sud du désert du Sahara partant de l’océan Atlantique jusqu’à la corne de l’Afrique et constituée de savanes et de steppes. La ceinture sahélienne traverse les onze pays signataires du projet de la GMV: Sénégal, Mauritanie, Mali, Burkina-Faso, Niger, Nigeria, Tchad, Soudan, Ethiopie, Erythrée et Djibouti.
Les populations qui vivent dans la région sont confrontées d’une part à une sécheresse endémique depuis plus de 30 ans, et d’autre part à la désertification. Cette notion ne doit pas être entendue au sens propre du terme comme un phénomène de progression du désert dans les terres, mais plutôt comme une dégradation des sols accentuée par le manque de précipitations (entre 100 et 600 mm par an).
D’après un rapport de la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, datant de 2005 sur la situation des forêts dans le monde, les 11 pays sahélo-sahariens concernés par la GMV perdraient en moyenne 1,712 million d’hectares de forêts chaque année.
Le tracé initialement proposé pour la GMV (d’après UA, CEN‐SAD, Sénégal 2008b) © CSFD
Démêler le vrai du faux
Considérer le désert du Sahara comme un fléau, un cancer qui rongerait année après année les terres arables des hommes, serait une grossière erreur. Un rapport du Comité scientifique français contre la désertification (CSFD) démonte certaines idées reçues autour de la GMV.
«Le Sahara est un écosystème parfaitement “sain” qui existe sur notre planète depuis bien avant l’homme et contribue, à l’instar des autres déserts du monde, de façon très précieuse à sa diversité et sa richesse (biologique, paysagère, culturelle). Il ne constitue en rien l’expression d’un mauvais état de santé du milieu.»
Le Sahara demeure un écosystème désertique stable, même s’il n’est pas immobile. L’idée que la GMV consiste à planter un mur d’arbres pour freiner une avancée hypothétique du Sahara est donc à écarter. Les causes de la désertification se trouvent ailleurs. Comme le rappelle Richard Escadafal, président du Comité scientifique français contre la désertification (CSFD),
«l’idée de planter un mur vert doit être vue comme un simple étendard à un projet dont la réalité est bien différente. Si la reforestation est une donnée à prendre en compte dans le cadre d’une revalorisation des terres et de l’agriculture, l’origine du problème n’est absolument pas l’avancée du désert».
Priorité à l’intégration sociale
Dans le cadre de la GMV, l’homme se pose tant dans le rôle de victime que de bourreau. La désertification relève davantage d’une dégradation des terres à un niveau local, et n’est pas observée exclusivement dans des zones arides ou semi-arides.
Une dégradation principalement due à des facteurs anthropiques, donc résultant de l’action de l’homme sur l’environnement: activités sylvopastorales inadaptées, monoculture, activités minières, surpâturage, etc. Si la régénération naturelle des sols n’a plus les moyens ni le temps de faire son œuvre, les sols s’appauvrissent et les rendements agricoles diminuent.
La sécheresse qui sévit dans la région n’a évidemment rien arrangé face à la diminution des ressources naturelles renouvelables (eau, sol, faune et flore). L’appauvrissement des sols est également renforcé par l’érosion éolienne et hydrique, et sans végétation pour protéger les terres, c’est tout un écosystème qui est menacé.
Zone de la Grande Muraille Verte au Sénégal, 14 août 2009 © Axel Ducourneau
«La désertification, si j’ose dire, est purement artificielle. Elle est uniquement le fait de l’homme. Elle est d’ailleurs relativement récente et pourrait être combattue et enrayée», préconisait déjà en 1927 le forestier et zoologiste français Louis Lavauden qui a beaucoup travaillé en Afrique.
Et la boucle est bouclée. Car avec moins de végétation, les populations locales vont davantage se concentrer sur des activités d’élevage et de pâturage, ce qui ne va qu’aggraver le phénomène. C’est pourquoi le reverdissement du Sahel ne saurait être envisagé sans un changement structurel et préalable des activités humaines dans les régions victimes de désertification. Avec une priorité accordée aux espèces locales en fonction du milieu dans le but d’une reforestation diversifiée.
«Il est nécessaire d’améliorer l’état naturel de la région avec des techniques en rapport avec une intensification écologique et une participation des populations locales. On ne pourra remonter le niveau de fertilité des terres qu’en investissant dans l’agriculture et le social.
C’est pourquoi le vrai problème se situe davantage dans la stérilité des sols que dans l’invasion des terres par le sable du Sahara, qui n’est au demeurant qu’une impression mais sûrement pas le cœur du problème.
Le manque de précipitations a accéléré le phénomène, car s’il n’y a plus d’eau pour l’agriculture la population va se concentrer davantage sur l’élevage», souligne Richard Escadafal.
Ainsi, il ne faut pas imaginer que la GMV serait érigée dans des zones inhabitées aux portes du désert. Le projet est avant tout fondé sur l’intégration sociale des populations de la sous-région, et l’activité de l’homme ainsi que son implication dans le projet sont des facteurs indispensables à son succès.
«Pour que la région puisse se reverdir, il faut donc investir dans l’agriculture et donner aux paysans le moyen d’avoir des greniers, des stocks, des ressources pour la semence, des équipements agricoles, un accès aux méthodes de compostage pour enrichir les sols afin d’accroître la fertilité et donc remonter la pente économique», ajoute le président du CSFD.
Le problème de l’instabilité politique
Le terme de «mur» n’est pas à prendre au premier degré et se réfère davantage à une interface d’échanges et de développement local. Le tracé n’est d’ailleurs ni linéaire, ni même continu. Il résulte d’une étude conjointe des pays signataires en fonction de facteurs environnementaux (pluviométrie, typographie, accessibilité…) nécessaires au développement d’activités agricoles, domestiques et d’élevage.
Si pour la majeure partie du tracé, la GMV est encore au stade de l’ébauche théorique, l’instabilité politique qui règne dans certaines régions pourrait constituer un frein au bon développement du projet. Robin Duponnois, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le dévelopement (IRD), précise:
«Le tracé passe dans des endroits assez instables (Mauritanie, Niger, Tchad, Soudan) et des zones de niveau orange et rouge en termes de risques sécuritaires et terroristes. Les scientifiques ne sont donc pas autoriser à s’y rendre, en particulier les étrangers.»
En témoigne la situation actuelle au Soudan en proie à des conflits internes depuis l’indépendance du Soudan du Sud officialisée le 9 juillet 2011.
Source : Bureau aménagement et cartographie de la Direction des Eaux et Forêts. Données ESRI, janvier 2008
Un projet innovant?
Si la GMV fait beaucoup parler d’elle, il ne faudrait pas croire que cette idée de vouloir reverdir des zones perdues par l’homme soit fondamentalement innovante. De nombreux précédents ont fait figure de cas d’écoles dans le cadre de l’élaboration de la feuille de route de la GMV.
Par exemple, en 1985, les régions de Maradi et de Zinder dans le sud du Niger avaient lancé un programme de régénération naturelle assistée (RNA) des arbres dans les champs des agriculteurs. Selon le CSFD, «l’échelle de cette régénération est évaluée à 4 millions d’hectares (soit 15 à 20 fois plus d’arbres en 2005 qu’en 1975).»
«Les arbres sont pour nous comme le mil […] les arbres servent comme un brise‐vent […] sans arbres nos animaux n’auraient rien à manger», avaient témoigné certains agriculteurs de la zone cités dans le rapport.
Citons encore l’exemple des villes de Niamey au Niger en 1965 et de Nouakchott en Mauritanie en 1975, qui ont toutes deux installé des «ceintures vertes» en périphérie urbaine afin de se protéger contre les tempêtes de sable.
Si ces projets ont eu un certain succès dans leur réalisation, d’autres n’ont pas été probants. L’Algérie, avec son Barrage vert, en a fait l’expérience. Ce projet lancé en 1971 avait pour but de lutter contre la désertification dans les régions du sud. D’une longueur prévue de 1.500 kilomètres sur 20 kilomètres de large, les résultats n’ont pas été à la hauteur des attentes du gouvernement. Selon Escadafal:
«Beaucoup d’efforts ont été faits et beaucoup d’arbres ont été plantés. Malheureusement, les populations locales n’ont pas été impliquées comme elles auraient dû l’être et le manque de diversité des espèces végétales a compromis le projet. Il se poursuit toujours aujourd’hui, mais dans une moindre mesure.»
De même que la Grande muraille verte de Chine, projet à grande échelle datant de 1978 et qui prévoit la création d’une forêt de 4500 kilomètres de long sur 100 kilomètres de large. Il s’agit également d’un projet de lutte contre la désertification et de protection des terres contre les tempêtes de sable provenant du désert de Gobi, de plus en plus nombreuses. L’échéance du projet est prévue pour 2074, mais la Chine semble avoir favorisé la quantité plutôt que la qualité. A en croire le site britannique du Guardian:
«La vulnérabilité de cette nouvelle forêt s’est révélée en 2009 lorsque des tempêtes hivernales ont détruit 10% de cette mince barrière.»
C’est pourquoi la Grande Muraille Verte s’inscrit dans le prolongement de savoirs et expériences du milieu et de l’environnement sahélo-sahariens, explique le chercheur Robin Duponnois:
«C’est avant tout une volonté de capitaliser les connaissances déjà existantes dans le cadre de la lutte contre la désertification, de mettre en commun divers projets qui sont d’ores et déjà en cours. L’impulsion globale de cette initiative rentre dans le cadre des Objectifs millénaires pour le développement.»
Anaïs Toro-Engel