« La politique du ventre » : idéologie de la société africaine postcoloniale et ses conséquences.
L’inventeur de ce concept : JF. Bayart [5] , cite un proverbe africain populaire pour en donner la signification : « La chèvre broute là où elle est attachée ».
Le système politique africain postcolonial crée ainsi par sa propre dynamique interne, les conditions de son inefficacité, qui le rendent incapable d’atteindre les buts qu’il se fixe notamment dans le domaine du développement, où il se contente de poser quelques réalisations prestigieuses qui n’ont aucune emprise sur la dynamique sociale et économique ; mais donnent lieu simplement à une apparence du développement.
Pour se maintenir, le régime politique de la société postcoloniale n’a que deux moyens : généraliser la corruption et semer la terreur contre ses propres citoyens. Autoritaire et despotique, un tel pouvoir appelle fatalement la violence, d’où l’instabilité politique chronique qui règne dans la société postcoloniale.
Ce fonctionnement chaotique et prédateur, rend sa capacité économique extérieure nulle. Alors, il tombe inévitablement dans l’orbite de la dette, qui entraîne les diktats des institutions financières internationales sous la forme de programmes d’ajustement structurels, voire culturels. Faible de l’intérieur, malgré son autoritarisme et sa violence, le régime politique postcolonial, l’est aussi à l’extérieur. Car sa fragilité économique en fait le jouet et la marionnette des grandes puissances.
Il apparaît alors comme un Etat-client, manipulé à volonté par des Etats-patron [6]., et incapable de jouer le moindre rôle sur la scène internationale. Pour la science politique, le mode de domination politique de la société postcoloniale, n’est pas un Etat, car il n’en a pas les caractéristiques. Il lui manque même les propriétés systématiques, qui en feraient tout simplement un système politique.
En effet, l’Etat est un système politique lié à un univers culturel et une histoire spécifiques [7] : la religion catholique romaine et l’histoire du Moyen Age, marquée par des structures féodales de type manoriales.
C’est aussi une histoire marquée par des événements très particuliers : la Réforme et la Contre-Réforme.
L’Etat est né de la conjugaison de toutes ces variables, qui ont abouti au milieu du XIIIè siècle à la formation d’un type de domination politique centralisé, dont l’institutionnalisation a conduit par la confiscation des ressources politico-juridiques dispersées à la périphérie aux mains des seigneurs féodaux, de façon autoritaire, à une différenciation progressive de son espace politique.
L’Etat va alors défendre cet espace politique par un droit administratif, qui protège ses agents, lesquels sont recrutés sur des critères méritocratiques, formés dans des écoles spécifiques où ils intériorisent les valeurs de l’Etat : l’idéologie de l’intérêt général. L’analyse anthropologique nous informe qu’à travers ce déploiement d’une stratégie de développement politique qui lui est propre, l’Etat ne fait qu’obéir à l’archétype du Dieu chrétien.
Lequel, omnipotent, et omniprésent se tient hors du monde, et dirige celui-ci par des lois et des décrets qu’il lui impose d’en haut. L’Etat est d’ailleurs parvenu à prendre la place du Dieu chrétien dans la mentalité occidentale en devenant l’Etat providence. Non seulement il dirige et oriente le développement de la société avec un droit dont il est le seul maître, mais il l’impose d’en haut à la société, comme le Dieu chrétien impose ses lois à la nature.
Cette logique centralisatrice qui tend à l’uniformisation de la société, s’oppose à la logique de la société africaine, qui on le sait est plurale et fonctionnelle, et obéit à d’autres représentations et à un autre modèle de souveraineté.
En imposant donc au cours de la colonisation des institutions dont la logique de fonctionnement était radicalement opposée à celle de la société africaine, le colonisateur préparait en fait la société postcoloniale à l’échec de la modernisation politique. D’autant plus qu’il manque aux institutions de cette dernière société la dimension mythologique, très conscientisée en occident, qui sert à les faire fonctionner.
C’est pourquoi pour nous, ces institutions ressemblent à des outils rouillés, abandonnés sur le chantier d’une exploitation minière à ciel ouvert, et qui s’avèrent inadaptées pour mettre en œuvre le développement de l’Afrique. C’est pourquoi, nous proposerons bientôt une reconstruction totale du système politique de la société africaine contemporaine en rapport avec son propre héritage historique et culturel, pour qu’il soit capable de mettre en œuvre la Renaissance Africaine [8]
Au total, si l’analyse politique contemporaine a eu le mérite de découvrir les concepts fondamentaux de « néopatrimonialisme » et de « politique du ventre » ; il faut bien reconnaître que c’est la prise en compte de la crise de la personnalité africaine, qui nous fait comprendre la nature même de la crise du pouvoir en Afrique postcoloniale, notamment son caractère arbitraire, irrationnel, violent, prédateur, qui exprime une logique obsédante et terrifiante, échappant ainsi au contrôle de la volonté humaine et à celui de l’intelligence logique, car elle vient directement de l’inconscient de la communauté africaine elle-même, produit des traumatismes majeurs, hérités de la Traite et de la Colonisation.
source : CRIDEM – LIBRE EXPRESSION