De la constitution d’un territoire à sa division

  • De la constitution d’un territoire à sa division : l’adaptation des Ahl Bârikalla aux évolutions sociopolitiques de l’Ouest saharien (XVIIe–XXIe siècles)
  • Abstract

Born of a politico-military conflict at the end of the seventeenth century in the south west of present-day Mauritania, the Ahl Bârikalla tribal group established itself further north. Their new territory, more arid, drove them into changing their way of life. Having become great camel-herders, they specialised in the digging of wells. The only important religious group in this vast area, they established complex relations with the surrounding warrior groups. The colonial period saw their territory shared between the French and the Spanish but, after the conquest, their travels were little affected. Decolonisation, particularly that of the Spanish Sahara in 1975, and the great drought disrupted both the ecological and the political conditions. The partition of their area by the Moroccan Wall and by urbanisation, which shifted the principal sources of income, seemed to signal the end of nomadism. However, attachment to the desert, which is anchored in discourse and the incessant comings-and-goings, remains the prop of collective identity.

Né d’un conflit politico-militaire à la fin du XVIIe siècle dans le sud-ouest mauritanien actuel, le groupe tribal des Ahl Bârikalla s’implante plus au nord. Leur nouveau territoire, plus désertique, les pousse à changer de mode de vie. Devenus grands nomades chameliers, ils se spécialisent dans le creusement de puits. Seul groupe religieux important de ce vaste espace, ils établissent des relations complexes avec les groupes guerriers environnants. La période coloniale voit leur territoire se partager entre Français et Espagnols, mais, après la conquête, leurs déplacements ne sont que peu affectés. La décolonisation, surtout celle du Sahara espagnol en 1975, et la grande sécheresse bouleversent les conditions écologiques et politiques. La partition de leur espace de nomadisation par le mur marocain et l’urbanisation, qui déplace les sources principales de revenu, semblent consacrer la fin du nomadisme. Pourtant l’attachement au désert, qui s’ancre dans les discours et les incessants va-et-vient, reste le support de l’identité collective.

  • Introduction

L’Ouest saharien a connu, depuis le XVIIe siècle et les dernières grandes vagues de migration depuis le Maghreb, une recomposition du paysage social avec l’émergence de pouvoirs nouveaux, qualifiés plus tard d’émirats, et surtout la relative fixation de statuts sociaux entre nobles, tributaires et esclaves. Les groupes nobles s’y divisent eux-mêmes en deux groupes à propension endogame, les guerriers (dits ‘Arab) détenteurs formels du pouvoir politique et porteurs d’armes, et les Zwâya, lettrés et religieux. Mais à côté des Trarza, Brakna, Adrar et très tardivement Tagant, existent de nombreux groupes indépendants, parfois regroupés en confédérations, aux statuts plus mouvants.

Dans le Sud-ouest mauritanien actuel, alors qu’est défait le pouvoir théocratique des Tachumcha, s’en détache ce qui deviendra la qabîla des Bârikalla.1 Sa constitution est politiquement et géographiquement en marge du pouvoir des Trarza. En effet, pour se soustraire à leur pouvoir, ce groupe zwâya migre au nord sur un territoire plus aride et s’y adonne à l’élevage camelin par l’intermédiaire de sa vaste clientèle. Leur histoire est par la suite à nouveau sujette à des contraintes politiques (conquête et partage colonial, guerre du Sahara) et écologiques (sécheresses) qui font émerger un nouveau mode de vie sédentaire et urbanisé où l’élevage nomade n’est plus le cœur de l’activité économique.

Le cas particulier des Ahl Bârikalla sera l’occasion de s’interroger sur l’adaptation d’un groupe tribal aux changements de son environnement sous la double contrainte écologique et politique. Car les enjeux politiques tribaux semblent déterminants dans les stratégies de groupes comme dans les parcours individuels. Quête d’autonomie politique, défense d’un rang, entretien des divers réseaux de solidarité et de dépendance sont les soucis majeurs guidant leurs choix. Les mutations écologiques, sociales, politiques et économiques n’étant plus dès lors que le cadre mouvant dans lequel évolue le groupe préoccupé de sa perpétuation.

Nous verrons que si leur territoire perd en poids économique, il reste le lieu symbolique de leur constitution autonome et la manifestation, par les puits et les cimetières, de leur emprise morale et religieuse sur leurs dépendants et alliés. Évoqué et parcouru sans cesse, le territoire, témoin des œuvres et de la grâce, rappelle à tous l’insigne sainteté du groupe. Ainsi, malgré l’amplitude des déplacements et la maîtrise toute relative de l’espace, ce territoire est le conservatoire d’une grandeur qui se donne comme immuable.

Un mot encore sur ce territoire qui, comme nous le verrons, n’est pas univoque. Selon que l’on s’attache aux puits, aux cimetières, aux parcours de nomadisation des éleveurs, on ne parle pas de la même chose et les espaces envisagés ne sont pas superposables. C’est que la notion de territoire dans le contexte nomade n’a rien d’une propriété privée cadastrée et “marchandisable”. Comme le relève Le Roy (1999, 409), “le champ foncier pastoral n’est pas ‘borné’, c’est-à-dire déterminé par une superficie mesurable, ‘géométrique’. Il est ouvert car constitué de forces et de flux plus orientés et contrôlés que maîtrisés ou appropriés privativement.” La plupart du temps le territoire est pensé comme collectif et indivis, pourtant rarement exclusif d’autres collectivités aux revendications et droits concurrents. Terroir dispensateur de ressources pastorales, c’est aussi un espace symbolique qui tient de la “patrie”, à la fois dans le sens de patrimoine ancestral, d’attachement sentimental aux paysages et de lieu d’exercice du politique, mais qui se partage ou se dispute avec les groupes voisins entremêlés. De plus, les droits fonciers pastoraux que les Zwâyas’attachent à faire reconnaître, sont eux-mêmes en bonne part artificiels, car souvent sans conséquence tangible, voire artificieux, puisque surtout destinés à montrer la puissance affichée du groupe que sa magnanimité postulée interdit d’exercer. Enfin les aléas climatiques imposent aux troupeaux des “grands nomades” la fréquentation de pâturages lointains où l’autorité du groupe n’est parfois qu’une renommée.

Je m’appuierai pour cet article sur de nombreux entretiens et discussions parmi les Ahl Bârikalla menés depuis 2000 en vue de ma thèse (Acloque En préparation), complétés à l’occasion par la littérature existante, tant ancienne que contemporaine, et quelques rares informations archivées.2 Notre soucis ne sera pas d’ordre historique au sens strict, mais reflétera le territoire perçu par le groupe dans ce qu’il énonce de lui-même : légitimité historique, mise en valeur de l’espace, droits juridiques sur la terre, prééminence…. Après avoir exposé les conditions de l’émergence tribale au XVIIe siècle, nous nous pencherons sur son adaptation à son nouvel environnement. Nous nous attarderons ensuite sur les perturbations politiques liées au partage colonial, pour enfin relever la constitution d’un nouveau mode de vie à la suite du conflit du Sahara et de la grande sécheresse.

  • I – Constitution tribale : un conflit politique à l’origine de la migration
  • A – La confédération Tachumcha, l’imamat de Naser ed-Din et char Bubba

Suivant les traditions du sud-ouest mauritanien (Gibla)3 l’alliance des cinq ancêtres à l’origine de la confédération des Tachumcha date du XIVe siècle (7e H.).4 Les cinq personnages provenant du Sous marocain auraient pris femme dans une qabîla locale très importante alors, celle des Medlich. Suivant les mêmes récits, quatre de ceux-ci auraient épousé des proches parentes suivant le principe matrilinéaire (voir thèse en cours [Acloque En préparation]) et le cinquième, une autre femme des Medlich. Ce cinquième, Ab Hund ‘Am, est désigné comme le fondateur d’une fraction distincte des quatre autres : les Ideyqub. L’alliance des Tachumcha leur aurait alors permis, grâce à l’intercession divine, de vaincre les guerriers Wlâd Rizg. La prééminence des Tachumcha dans l’ouest mauritanien aurait été assurée jusqu’à la fin du XVIIe siècle. A cette époque leur pouvoir se structure autour de principes islamiques dont la désignation d’un chef politique, guerrier et religieux en la personne de l’imam Naser ed-Din. Il est aussi possible que la grandeur précédant l’imamat, qui manque d’événements pour l’étayer, ne soit qu’une construction a posteriori.

Toujours est-il qu’alors que Naser ed-Din, de la qabîla des Wlâd Deyman, membre des Tachumcha, instaure un embryon d’État théocratique, institution qui sera appelé à une belle postérité en Afrique sahélienne,5 la personnalité marquante des Ideyqub est le saint et thaumaturge Ahmed Bezeyd. On rapporte que celui-ci eut la prescience de la destinée fabuleuse de celui-là : “On raconte que le jour où le père de Naser ed-Din épousa sa mère, Abou Zeïd El lakouby annonça que cette union produirait quelque chose de merveilleux.”6 Les miracles attribués à Ahmed Bezeyd, aussi bien de son vivant qu’après sa mort, sont innombrables. Il est encore de nos jours invoqué régulièrement, surtout par les descendants de ses Tlamid (disciples) tant tributaires que guerriers nobles. Car par sa sainteté et ses pouvoirs thaumaturgiques, on raconte qu’Ahmed Bezeyd aggloméra autour de lui nombre de fidèles de toutes extractions, les uns protégés de poursuivants auxquels il confia la charge de troupeaux, les autres bénéficiant de son soutien dans des conflits inter- ou intra-tribaux. Ils allaient donner naissance à une riche clientèle. Ahmed Bezeyd fut enterré à Tamghart en 1630/31 (1040 H) dans le Sud-ouest mauritanien et sa tombe reste le lieu de convergence de nombreux visiteurs.7

Suivant les données historiques,8 Naser ed-Din rassemble au-delà de la confédération Tachumcha des groupes religieux dits Zwâya et des alliés négro-africains, puis entame un djihad de conquête qui soumet les populations du Fouta et du Djolof. La domination politique de l’imamat intègre le Sud-ouest mauritanien et le nord du Sénégal actuels dans un même ensemble. La vallée du Sénégal est divisée en cinq commandements sous l’autorité de l’imam Naser ed-Din. La soumission se manifeste par le versement de la zakat. De 1671 à 1677, la guerre dite char Bubba amène la chute de l’entreprise. Cantonnés initialement sur la rive gauche, les revers militaires s’étendent du côté mauritanien en 1673 (1084 H) alors qu’un tributaire que l’on connait sous le nom de Bubba refuse de verser la zakat et trouve des soutiens auprès des qabâ’il arabes et berbères voisines que l’émergence de l’imamat indisposait.

  • B – Le retrait de la guerre et la migration

A posteriori au moins, cette évolution avive des questionnements idéologiques. Car si en portant la guerre parmi les principautés négro-africaines la puissance théocratique s’opposait à des populations supposées non musulmanes,9en s’étendant sur la rive droite, les adversaires berbères et arabes étaient eux reconnus musulmans. La question de la légalité du djihad se pose donc et ce d’autant que son origine, le refus de s’acquitter de l’impôt religieux, n’est pas fondé à justifier la guerre sainte. Les rangs des Zwâya se divisent alors que la mort successive de leurs dirigeants affaiblit le pouvoir central. Prenant prétexte de ces divergences religieuses, certains déclarent la guerre impie. Les pertes sont nombreuses et il ne reste plus des Ideyqub que sept hommes dont Bârikalla, le fils unique d’Ahmed Bezeyd.10

Dans un tel contexte, celui-ci se résout à sortir du conflit. Pour une raison qui n’apparaît pas clairement, la famille d’un de ses oncles maternels11 le tient alors enchaîné. Cet événement est à l’origine de la scission de Bârikalla et de ses descendants d’avec la qabîla des Ideyqub. Alors que l’expérience théocratique s’achève en déroute humiliante,12Bârikalla quitte la zone, laisse femme et enfants dans le Twat pour accomplir le pélerinage à la Mecque. Ce serait, suivant ses descendants, l’occasion de résolutions à propos des mariages dans sa lignée, de la constitution d’une large dépendance et de leur nouveau territoire d’installation.13

En délicatesse avec ses cousins, Bârikalla et ses huit fils constituent une qabîla autonome qui cherche à s’affranchir du pouvoir émiral naissant dans le Sud-ouest qui impliquait d’accepter la domination politique des guerriers Trarza. Ils quittent donc l’ancien territoire des Tachumcha et entament une migration vers le nord moins peuplé et moins contrôlé, car plus aride. Le déplacement de leur territoire vers le nord se fait dans le sens opposé aux mouvements des autres qabâ’il, dont la translation a historiquement lieu vers les territoires plus cléments du sud. Ils y scellent ce qui apparaît être une alliance avec la famille dirigeante, ou revendiquée telle, des puissants Wlâd Dleym qui donnera naissance bien plus tard aux Wlâd el-Labb,14 nous y reviendrons. Leur généalogie suggère d’ailleurs un apparentement avec les qabâ’il Hassan dont sont issus les Wlâd Dleym. Une revendication d’égalité statutaire traduite dans le langage de la parenté (voir ould Cheikh 1991).

Leur indépendance leur fait revendiquer le titre de Zwâyat ech-Chems, les Zwâya du soleil, en opposition à ceux qui sont à l’ombre d’un pouvoir et s’acquittent de redevances. Pour Leriche (1955), en Adrar cette appellation désigne les grands nomades, opposés aux groupes plus sédentaires. Comme nous allons le voir, ces deux définitions sont loin d’être incompatibles et laissent percevoir un lien entre amplitude des mouvements et noblesse.

Leur migration, c’est-à-dire la translation de leur espace de nomadisation, se manifeste par l’emplacement de leurs tombes. Ainsi, alors qu’Ahmed Bezeyd est enterré dans le sud-ouest, ses fils et petits-fils trouvent la mort bien plus au nord (sauf Vadhel) (Carte 1). Les diverses qabâ’il issues des Tachumcha nomadisent préférentiellement – à la fois dans leurs recherches de pâturage et dans les déplacements des campements – dans la région de l’Igidi. Seuls les Ahl Bârikalla, avec quelques fractions alliées, évoluent plus au nord, et particulièrement au Tiris.15 Ils constituent aujourd’hui une qabîla autonome, sortie des relations d’“asabiyya” (solidarité “agnatique”) de la confédération Tachumcha.16 Si cela n’est pas officialisé, et s’ils participent par exemple à la diyya (prix du sang) des autres Tachumcha, c’est pour eux une marque de générosité. Ils se gardent bien de faire appel à leur contribution en retour.

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  • Carte 1
  • [ Premiers lieux de sépultures des Bârikalla (fin XVIIe‐debut XVIIIe siecle).

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  • II – Adaptation au nouveau territoire : grands nomades puisatiers, alliances et dépendances
  • A – Nouveau milieu écologique : le chameau et le puits

La migration des Ahl Bârikalla s’est accompagnée d’un changement écologico-économique majeur. Quittant la zone soudanaise pour l’espace saharien, le cheptel d’ovins et bovins est pour l’essentiel remplacé par l’élevage du chameau. Leur territoire de prédilection, hors des pouvoirs voisins, connaît un peuplement très faible, sans lieu permanent de sédentarité.17 La zone d’installation de la qabîla se situe entre les régions plus densément peuplées de la Gibla (Trarza et Brakna) au sud, de l’Adrar à l’est et de la sagiyya al-Hamra au nord. Cet espace, bordé par l’océan atlantique, est un désert côtier tropical particulièrement aride.18 Il est divisé par deux cordons dunaires (Azefal et Akchar) qui séparent les regs du sud, principalement Amessaga et Inchiri, de ceux du nord, principalement le Taziast et le Tiris. Entre ces derniers se situent les hauteurs de l’Adrar Sottuf. Quelques rares terrains sont cultivables saisonnièrement et en cas de pluie, surtout en Inchiri. Mais de ce grand territoire, la zone la plus renommée est le Tiris dont les pâturages d’askaf19 font la réputation.

Si jusqu’à la grande sécheresse qui débute à la fin des années 1960, l’Inchiri pouvait être atteint depuis le sud par les bovins et le petit bétail (moutons et chèvres) en transhumance, l’essentiel du pastoralisme sur ce territoire est consacré au chameau. L’avantage de cet animal étant évidemment l’amplitude de ses mouvements entre deux pâturages et sa capacité à la rétention d’eau permettant d’espacer les abreuvoirs.

En 1950, une enquête sur le pastoralisme en Mauritanie (Bonnet-Dupeyron 1950) laisse apparaître deux axes de nomadisation principaux pour les Ahl Bârikalla (Carte 2). L’un plus à l’ouest et de moindre amplitude est attribué aux tributaires harâtîn de la qabîla. Il est probablement constitué de bovins et de petit bétail (caprin et ovins), puisque l’usage veut que les affranchis se voient confier ces animaux, ainsi que des ânes utilisés comme animaux de bât. Le mouvement de transhumance franchit rarement l’Azefal et l’on peut conjecturer que cela est alors dans le but d’accéder aux marchés de la ville de Port-Étienne (aujourd’hui Nouadhibou). Il est probable que cet élevage demandeur de main-d’œuvre ait pris de l’importance au cours du XIXe siècle avec l’accroissement de la population servile au Sahara, lié aux troubles de la zone sahélienne et à la fermeture progressive des marchés américains et maghrébins d’esclaves (voir Acloque 1995, 23–28).

  • Carte 2

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-* [Axes de nomadisation des Ahl Bârikalla->http://www.tandfonline.com/action/showPopup?citid=citart1&id=f0002&doi=10.1080/00083968.2014.935100
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L’autre axe de nomadisation, plus important en amplitude et en valeur, est assurément constitué de chameaux, richesse par excellence au Sahara. Animal de transport, son cuir et sa laine sont exploités et surtout, l’essentiel de l’alimentation traditionnelle est dû à son lait et à sa viande. Les grands éleveurs de chameaux, dits “grands nomades” en raison des milliers de kilomètres qu’ils parcourent annuellement à la recherche de pâturages, sont les plus enviés quant à leur aisance. Les Ahl Bârikalla ne dérogent pas à la règle. Leur richesse se mesure à leur réputation bien établie de générosité.

Mais pour que cette activité puisse être menée sur ce territoire, il est nécessaire d’assurer le ravitaillement en eau. Ainsi les Ahl Bârikalla, et chacun des fils de Bârikalla en particulier, ont-ils développé une grande maîtrise dans le creusement des puits.20 Dans les premiers temps de la colonisation, c’est d’ailleurs à eux que les Français feront appel. Car, outre le savoir qui laisse espérer la présence d’eau et le savoir-faire des puisatiers capables de creuser jusqu’à 60 m de roche, le creusement d’un puits demande une logistique d’envergure : matériaux de creusement (barre à mine, graisse, nacelle), paille, bois ou pierres d’étayage, main-d’œuvre abondante, ravitaillement en nourriture et en eau depuis le puits le plus proche.

On dit que plus de deux cents puits auraient été creusés par la qabîla. C’est en tout cas une très grande fierté pour eux. Et, sur 800 km du nord au sud et 500 d’est en ouest, tous les puits leur sont attribués21 (Carte 3). Ces points ne sont cependant pas habités en permanence, et l’usage veut que la proximité immédiate du puits soit laissée vacante pour que d’autres puissent y accéder. Si le campement ne part pas en nomadisation, la tente est régulièrement déplacée de quelques centaines de mètres, pour s’installer sur un terrain vierge. Le territoire qu’ils contrôlent est un espace aux nombreux puits, sur lequel ils ont des mouvements pendulaires nord-sud mais sans habitude d’installations intangibles ou collectives. Mais dans cet espace où la pluie est rare, le maillage des points d’eau permet l’exploitation des pâturages alentours.

  • Carte 3

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[ Puits des Bârikalla
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La propriété d’un puits est considérée complète, bien qu’on ne puisse en interdire l’accès, au moins aux hommes. “En effet, si ce puits est le seul de l’endroit, tous ceux qui habitent aux environs immédiats ont licence d’en user quotidiennement pour leur besoins personnels, et cela sans rétribution. Par contre, il leur faut payer pour l’abreuvoir journalier de leurs troupeaux…” (Lotte 1939, 67). L’auteur de ces lignes, un militaire français du cercle de Port-Etienne essentiellement informé auprès de Bârikalla ou de leurs Tlamid guerriers, ne relève pas l’écart entre cette prétention et la règle formulée par un traité populaire de droit malékite : “ceux qui ont creusé des puits pour leurs troupeaux peuvent s’en servir par préférence. Ils en useront donc les premiers : après quoi tout le monde y aura également droit” (Al-Qayrawânî s.d. [Xe s.], 269). Il est un écart conséquent entre un simple droit d’usage prioritaire et la capacité d’en louer l’usage. Pourtant, si la jouissance de leurs puits a presque partout été laissée libre, il semble bien que la vente du droit à l’abreuvoir quotidien ait été exercée à Beni Châb pendant la période coloniale (Lotte 1939, 68).22Les Bârikalla semblent avoir joué ici de leur monopole sur l’interprétation du droit et du souci légaliste de la puissance coloniale.

En dehors même de ce cas rare, la propriété du puits réserve à l’inventeur d’autres privilèges que n’oublient pas de revendiquer les Bârikalla : du point de vue du droit musulman, la mise en valeur initiale (ihyâ’) d’un territoire est considérée comme titre de propriété sur celui-ci.23 Or l’espace mis en valeur par le creusement d’un puits (harîm24) serait celui de la distance parcourue depuis celui-ci en une journée par une vache ou un chameau, suivant les régions. Leurs revendications territoriales sont donc gigantesques, même si avant l’apparition de l’État colonial elles restèrent lettre morte. Concrètement, il s’agit surtout d’un réseau permettant la mobilité, bien plus qu’un territoire dans l’acception sédentaire du terme. La mise en valeur des terres par la vivification des puits, est aussi une activité érigée par les Zwâya en vertu (ould Eida 2011, 92). C’est pour ces raisons que wull Vilali s’enorgueillit au XIXe siècle dans al-‘Umran – un livre en l’honneur de sa qabîla où il s’applique à recenser le plus de leur puits – que “la communauté des Ahl Bârikalla a mis en valeur cette zone connue jusqu’alors par son abandon”. Il ajoute que cela s’est fait “avec ce que cela implique de patience, d’équilibre, de recul vis-à-vis des questions brûlantes et de prière pour que soient châtiés de manière exemplaire leurs éventuels agresseurs”.

  • B – Nouveaux voisins, nouveaux réseaux

En effet, fuyant le pouvoir naissant de l’émirat du Trarza et renonçant aux armes, leur survie dans un espace parcouru de guerriers belliqueux et avides de leurs troupeaux n’allait pas de soi. Cette terre sans maître – le bilâd es-sîba que décrira au XIXe siècle le cheikh Mohamd el-Mâmi, leur plus célèbre lettré – nécessite une stratégie subtile pour des Bârikalla désarmés. Partageant leur espace de nomadisation avec d’autres occupants, ils entrent en relation avec divers groupes plus ou moins puissants, accordant leur protection religieuse aux uns et amadouant les autres par des formes de générosité.25

D’un point de vue économique même, la prospérité ne semblait pas acquise. Leur position est certes entre des zones commerciales distinctes comme l’a noté wull Vilali : du sud-ouest avec Arguin et Portendick, le commerce européen apporte ses produits et en particulier les tissus ; du sud proviennent le mil et la gomme, de l’Adrar le mil, les tissus originaires du Mali actuel et les dattes, du nord les chevaux, les épices et les parfums. Les deux derniers des fils de Bârikalla se consacrent bien au commerce (Mawlud et Vadhel) et même à la production de charbon pour Mawlud. Mais c’est une activité mal vue eu égard à leur rang (le marchandage n’est pas noble) et surtout ils n’ont pas de lieu de sédentarité en propre pour stocker ou servir de centre d’échange.26 Leur territoire ne deviendra pas un carrefour commercial et les caravanes le traversent sans raison de s’arrêter.

Leur force sera dans leur capacité à protéger divers types de Tlamid, plus ou moins dépendants, venus s’agréger à eux. Car outre le savoir religieux,27 la baraka et la sainteté reconnue à nombre de ses membres, la qabîla profite de la protection de Dieu et tout ennemi s’expose à la tazubba, une forme de malédiction divine. C’est ainsi déjà qu’Ahmed Bezeyd aurait protégé Ahmed Legweydsi, le premier et le plus célèbre de ses suivants. Au fil des siècles et des générations, les personnalités les plus en vue des Bârikalla ont ainsi fait grossir le nombre des dépendants, protégés individuellement ou en groupe. Restés strictement hors des relations de parenté, ils seraient aujourd’hui trois fois plus nombreux que les nobles, descendants de Bârikalla. Il est dit qu’à leur arrivée leur fut remis des troupeaux, charge à eux d’en assurer le croît. Toujours est-il que, soit par conviction religieuse, soit par souci de tranquillité vis-à-vis de déprédateurs armés, les Tlamid ont fait grossir le nombre des chameaux marqués du Lamalifdes Bârikalla.28

Car cette marque est renommée dans tout le Sahel (nord-ouest de l’ensemble hassanophone) pour désigner les bêtes des Ahl Bârikalla, ainsi un pilleur ne peut en ignorer le propriétaire. En plus de la crainte de s’exposer aux pouvoirs surnaturels de la qabîla, celui-ci se risque aussi à mécontenter ses puissants amis. En effet, les Bârikalla ont aussi tissé un réseau dans la plupart des puissantes qabâ’il voisines, à commencer par les tentes émirales. Au Trarza, en Adrar ou au Tagant, les Bârikalla ont assuré de façon occulte les familles dirigeantes des émirats de la perpétuation de leur pouvoir. De même, certains parmi les Rgeybât, les el-Gra’ ou les Wlâd Dleym par exemple se sont fait disciples de tel cheikh ou de tel autre. Une fraction de ces derniers, les Wlâd el-Labb, qui, suivant leurs dires, dirigeaient les Wlâd Dleym jusqu’au XIXe siècle29 s’en est même détachée pour devenir le bras armé des Bârikalla, portant le même Lamalif sur leur bétail. Bon gré, mal gré, des redevances sur les tributaires Bârikalla sont cédées à des groupes guerriers en échange de leur appui.30 Plus au nord (dans le Tell), plus loin de leur espace principal de nomadisation, les fractions qui y faisaient parcourir leurs troupeaux (Ahl Mawlud et surtout Ahl Vadhel) ont noué des pactes dits dhbiha avec des Rgeybât ou des Tekna (le demandeur égorge une bête devant la tente de celui qui, par honneur, lui accorde sa protection auprès de ses contribules). Réciproquement, des qabâ’il du sud (‘Eleb par exemple) en délicatesse avec les guerriers du Sahel, se joignent aux campements Bârikalla pour profiter des pâturages sans encombre.

Ces relations permettent qu’en cas de saisie de troupeau, la qabîla organise une députation (sorba, pl. esrub) qui s’en va négocier auprès du pilleur, ou d’un de ses parents ou alliés, la restitution de tout ou partie des bêtes. Parfois, à défaut de diplomatie, les Wlâd el-Labb se chargent de récupérer violemment le bétail, ce qui sera souvent le cas envers les Wlâd Bu Sba’, nouveaux venus turbulents sans alliance locale. Plus généralement, une politique de générosité envers tous les voisins est pratiquée pour s’attirer leurs bonnes grâces. Des Wlâd Bu Sba’ rescapés de la déconfiture de Vucht en 190731 seront par exemple soignés par des Ahl Bârikalla (…)

Leur politique de bon voisinage leur est globalement favorable, leur renommée et leur prospérité s’accroissant avec le temps. En migrant au nord, les Bârikalla ont ainsi dû se forger de nouvelles relations, éloignées de leur confédération d’origine des Tachumcha, avec lesquels ils restent cependant en bons termes et qu’ils reconnaissent, pour les plus nobles d’entre eux, comme des équivalents matrimoniaux. Les Bârikalla ont ainsi acquis la maîtrise d’un espace autonome des points de vue politique, économique et écologique. La deuxième partie du XIXe siècle a été particulièrement favorable pour eux dans le Tiris : il est dit dans al-Wasit,32 que les Bârikalla y connurent des troupeaux prolifiques qui leur permirent 40 ans sans décès. Le siècle s’acheva cependant dans de multiples affrontements tribaux qui amenèrent les qabâ’il à refluer vers l’Inchiri et le Trarza.

  • III – Divisions politiques du territoire
  • A – Ligne de front de conquête et division du territoire entre colonisateurs

Les troupes françaises commencent leur installation dans la Mauritanie de l’ouest en 1900. Et très vite, les territoires parcourus par les Ahl Bârikalla deviennent une des zones de front principales entre les belligérants et le restera jusqu’aux années 1930. En 1908, la création du poste d’Akjoujt destinée à “pacifier” l’Inchiri est un échec et, après neuf mois, le poste évacué. La prise de l’Adrar en 1909 et le parcours de l’Azefal par des “groupes nomades” français n’empêchent pas mejbur et razzia.33

Si les Français voient dans l’attitude des Bârikalla un désir de se faire protéger des déprédations à l’instar de la plupart des qabâ’il zwâya, ce n’est pas sans une certaine méfiance. Les Bârikalla ravitaillent bien en bétail Port-Étienne (1907) ou Akjoujt (1908),34 rendant possible la présence française mise à mal par le scorbut, tout en en tirant bénéfice. Mais l’armée française est persuadée (Frèrejean 1995, 406) qu’ils informent ses ennemis sur ses mouvements. Ils auraient aussi fourni des chameaux de monte pour favoriser des attaques contre les Français. De même, le partage de la même marque de bétail avec les Wlâd el-Labb leur attire le reproche de cacher leurs troupeaux parmi les leurs, au risque de voir le tout confisqué par l’autorité coloniale. Car de fait, une partie des Wlâd el-Labb participe à des actions guerrières contre les Français jusqu’à la célèbre bataille de Moutounsi (Umm Tûnsi) en 1932.35

En effet dans le premier tiers du siècle, la position géographique des Ahl Bârikalla entre des territoires dévolus à la France et à l’Espagne leur empêche une prise de position sans ambiguïté (Carte 4). S’ils sont très tôt en contact avec les Français au Trarza par l’intermédiaire des Tachumcha, et se soumettent formellement en 1907, leurs relations de bon voisinage avec les groupes guerriers du nord (qabâ’il hors de la zone d’occupation française et “dissidents” de tous ordres), ne peut souffrir un ralliement complet. Ces relations sont d’ailleurs aussi exploitées par les Français pour obtenir des informations sur ce qui se déroule hors de leur portée.

  • Carte 4

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[Colonisations->http://www.tandfonline.com/action/showPopup?citid=citart1&id=f0004&doi=10.1080/00083968.2014.935100
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L’appel au djihad du cheikh Ma al-‘Aynin, le fédérateur des opposants à la présence française installé au Sahara espagnol, se double d’une exhortation à l’émigration (hijra) à laquelle répondront quelques groupes du sud. Mais avant 1930 et la réinstallation permanente du poste d’Akjoujt et la création du Cercle lui correspondant (Inchiri) en 1931, la présence française sur les territoires Bârikalla est relativement légère, et les contraintes liées n’apparaissent pas suffisantes pour provoquer l’émigration hors de quelques individus. Les Bârikalla se contentent d’éviter le plus possible les centres urbains, qu’ils ne fréquentent qu’épisodiquement.

Leur situation change cependant avec la fatwa du fils de Ma al-‘Aynin, le cheikh Hassana. Cette fatwa prononcée en 1908 rend licite dans le cadre du djihad la saisie des troupeaux des qabâ’il soumises, voire la mort de ceux qui se soumettent aux infidèles.36 Renvoyés dans le camp des infidèles, cette proclamation expose les Ahl Bârikalla à de grosses pertes de bétail. Les razzias se multiplient alors et, si elles sont moins nombreuses à partir de 1910, elles continuent jusqu’en 1934. Des groupes guerriers pourtant Tlamid se saisiront eux aussi sans vergogne du bétail de leurs propres cheikhs. De l’autre côté, des saisies administratives, de représailles ou indemnisées (pour le ravitaillement des troupes et les animaux de monte ou de bât) ont aussi, dans une moindre mesure, touché les troupeaux des Ahl Bârikalla.37 A cette époque un administrateur d’Akjoujt constate, de façon peut-être excessive, que les Ahl Bârikalla de son territoire qui se sont réfugiés au nord de Boutilimit, “ne possèdent que des bœufs et des moutons tous leurs chameaux ayant été pillés”.38

Vers 1934, les derniers conflits et l’occupation complète du Sahara par l’Espagne clos cette période troublée et permet à nouveau la prospérité des troupeaux. L’entente des deux puissances coloniales, appelée “la rencontre des pouvoirs” (melge le-hkam), amène l’empêchement par les Espagnols des razzias en partance de leur territoire (LB, Wlâd el-Labb, Inchiri, IV 2002). Mais durant une trentaine d’années, l’accès à certains pâturages interdits par l’insécurité et les saisies de troupeaux, tempérées par la poursuite des esrub (sg. sorba), a affecté leur croissance.

La frontière entre les possessions françaises et espagnoles est donc utilisée entre la dernière grande expédition française en zone espagnole de 1913 et 1934 comme refuge par les groupes en guerre contre les coloniaux. Si la frontière théorique n’a pas varié pendant la période coloniale, les rumeurs de cession de territoire, le parcours différencié de l’espace par les troupes des deux puissances et le franchissement de la frontière périodiquement effectué par les Français, a laissé penser aux nomades que “la frontière bougeait sans cesse”, la frontière étant perçue dans le contexte nomade comme une ligne de front fluctuante entre puissances (Acloque 2007). Pour pouvoir profiter des pâturages dans l’espace français, il faut y avoir fait acte d’aman, c’est-à-dire reconnaissance formelle de l’autorité française. La plupart du temps cela s’accompagne d’un recensement dans le diwan (registre) du poste militaire qui signifiait l’administration de la qabîla depuis ce poste et entre autre la collecte d’impôt sur le bétail.39 Seules lesqabâ’il ou plus souvent fractions de qabîla enregistrées par les autorités espagnoles en étaient exemptes, comme la majorité des Wlâd Dleym ou une partie des Rgeybât.

Les Bârikalla se soumettent entièrement côté français, là où se situe l’essentiel de leur espace de nomadisation. Laqabîla fut divisée pour son administration entre Mederdra au Trarza (Ahl ‘Abdallahi), Atar en Adrar (Ahl Mawlud) et Port-Étienne (Ahl Habiballa). Après la création du cercle d’Akjoujt en 1931, le gros de la qabîla y est réuni, mais une fraction importante en puissance et en richesse, les Ahl Habiballa, reste recensée indépendamment à Port-Étienne, sous l’autorité des descendants du cheikh Mohamd el-Mâmi, ce qui ne sera pas sans incidence sur l’unité tribale. On retrouve ici une forme de “factionnalisme de frontière” identifié par Bargados chez les Wlâd Dleym.40

Afin d’accéder aux pâturages situés dans l’espace sous l’autorité de l’autre puissance coloniale, des “permis de circuler” nominatifs sont mis en place. Cela implique de signaler sa sortie de la zone française auprès d’un poste et de signaler son arrivée en zone espagnole auprès des postes déployés en 1938. Sous réserve de régularité vis-à-vis de l’administration, en particulier concernant l’impôt, l’obtention du permis de circuler semble assez aisée. Mais un premier contrôle des mouvements de population et de bétail est instauré.

Dans les années 1930, des groupes tlamid (Ladem, Lah’wej et Legweydsat) cherchent à quitter les Bârikalla pour les Rgeybât et la zone espagnole.41 Après de longues tractations, ces groupes reviennent puisque les troupeaux, dits issus de bêtes confiées par les Bârikalla, ne sont pas reconnus comme leur appartenant en propre, mais confiés par leurs cheikhs. Cette notion juridique de biens dits arig est une spécialité essentiellement Bârikalla. Elle permet de contourner l’interdiction par l’islam de la transmission des redevances personnelles (Miské 1935) : ce ne sont pas lesTlamid qui sont transmis, mais les troupeaux. De même, elle évite souvent le départ de ces dépendants qui prendraient le risque de se voir confisquer leur bétail. Le cas se présenta à diverses reprises pendant la période coloniale et encore après l’indépendance.42 Les Tlamid ne purent retrouver leurs troupeaux qu’en acceptant à nouveau la tutelle des Bârikalla. L’autorité coloniale pesa en faveur de la fiction juridique qui garantissait le maintien de l’ordre social et évitait de lancer un mouvement de migration, fiscal surtout, vers la zone espagnole.

  • B – Premières sécheresses, décolonisation et rôle marginal dans le jeune État

Hors des quelques villes sahariennes modestes, étapes des mouvements commerciaux entre le Maghreb et l’Afrique noire, le Sahara de l’ouest ne connaît pas de centre d’urbanisation ancien. C’est le colonisateur français qui en quadrillant l’espace de postes militaires et administratifs donnera naissance aux bourgades et villes contemporaines. Port-Étienne, actuelle Nouadhibou, est la seule à être née d’un projet industriel autour de l’installation de pêcheries au début du siècle.43 En zone espagnole Villa Cisneros, actuelle Dakhla, naîtra d’activités similaires bien que plus modestes. Mais la croissance de ces embryons urbains restera longtemps faible.

La sécheresse des années 1930-33,44 puis surtout celle des années 1940-44 qui s’accompagne d’une grave famine bouleverse l’économie et la société mauritanienne. Si la première sécheresse pousse nombre des Ahl Bârikalla à se déplacer vers le sud-ouest, comme l’atteste le nombre des tombes au Trarza (CB, Ahl Habiballa, Rosso-Lejwad, XI 2005), les rares terres cultivables de leur territoire sont l’objet de conflits entre qabâ’il de la même façon que les zones de pêche du banc d’Arguin (voir Acloque 2011). Dix ans plus tard, la gravité de la situation écologique est d’une autre ampleur alors que dépérissent les troupeaux déjà frappés par les réquisitions françaises liées à la Seconde Guerre mondiale.45

En ces circonstances les villes qui offrent quelques emplois, et particulièrement dans la zone qui nous intéresse Port-Étienne et sa Société industrielle de la grande pêche (SIGP), attirent en partie la population désemparée. À l’époque surtout, il n’était pas d’usage de payer le poisson que les pêcheurs, suivant une tradition existant chez les Imragen, pêcheurs de la côte dépendant pour partie des Bârikalla, donnaient à qui le demandait. La ville passe de 400 à 2000 habitants de 1940 à 1943 (Lafeuille 1945). L’administration organise aussi des soupes populaires à Port-Étienne, Akjoujt et Atar d’un appoint alimentaire inestimable. Parallèlement, le rationnement des céréales, sucre, thé et même tissu par les autorités fut aussi l’occasion de conflits internes aux qabâ’il qui virent les querelles amener à des fissions de groupements. Les Ahl Bârikalla de Port-Étienne se divisèrent ainsi en plusieurs diwan, suivant des oppositions factionnelles exacerbées par la situation du moment. Mais l’épisode climatique ne dure pas et, la clémence météorologique revenue, les tensions s’apaisent.46 D’autre part, l’administration favorise l’élevage en luttant contre les épizooties et en creusant ou cimentant de nombreux puits et le cheptel mauritanien s’accroît rapidement à partir de 1950 (ould Cheikh 1986, 27).

Surtout la défiance des Bârikalla à l’endroit de la ville, européenne plus encore, reprend ses droits. Quelques rares familles cependant (comme les Ahl Sidi Brahim à Port-Étienne) s’installent durablement en ville ou plus exactement sous tente en marge des zones urbanisées et européennes.47 Cependant les notables Bârikalla, pour des raisons politiques et religieuses, ne voulaient pas profiter des “largesses” françaises, et redistribuaient à leurs alliés guerriers les biens, en particulier les terrains, accordés par l’administration ou les sociétés sous domination française. Quelques tributaires pratiquent la pêche ou installent un petit commerce. Il faudra attendre les années 1970 pour que le mouvement d’urbanisation apparaisse irréversible.

A l’approche de l’indépendance, l’AL, Armée de libération provenant du Maroc indépendant, accroche les armées espagnoles et françaises dans le Sahara et en Mauritanie. Les troupeaux souffrent des combats en 1957-58. On garde en mémoire les troupes d’un “Legret” qui auraient saisis au Sahara espagnol 3000 têtes de petit bétail et une cinquantaine d’esclaves pour les répartir entre goumiers et supplétifs. Comme autrefois, les notables d’Akjoujt se sont alors constitués en députation pour visiter les qabâ’il concernées (Wlâd ‘Ammoni, Wlâd Gheylan, Wlâd Bu Sba’, ‘Eleb) et récupérer tous leurs dépendants. De plus, profitant d’une visite de De Gaulle au Sénégal, le jeune Ahmed Baba Miské aurait enfreint le protocole pour lui remettre des réclamations concernant les troupeaux, ce qui aurait entraîné une indemnisation par le Gouvernement de l’AOF.48

Si ces troubles en ont amené certains à se sédentariser à Port-Étienne (quartier Dragage), à l’indépendance en 1960, les Ahl Bârikalla n’ont pas modifié sensiblement leur mode de vie. Leur méfiance envers l’école française les en a tenus à l’écart. Comme beaucoup de Zwâya, mais semble-t-il à une échelle plus importante encore, ils lui préfèrent les mahadra traditionnelles. A part une famille qui fournit des interprètes dès les années 1930,49 ils n’ont pas profité de la scolarisation moderne et ne donnent que peu de cadres et presque pas d’employés à la nouvelle administration. En outre leur rejet de la ville ne leur donne pas d’opportunité significative dans le commerce.50 De même, ce sont surtout les Tlamid qui profitent directement de l’essor des pêches à Port-Étienne à l’exception notable des propriétaires d’embarcation et des sous-traitants de la SIGP pour le séché-salé sur le banc d’Arguin, dont un descendant deviendra chef du personnel dans les années 1950 et tentera sans grand succès la création d’une société de pêche.

  • IV – L’émergence d’un nouveau mode de vie
  • A – Les chamboulements écologiques et politiques des années 1970

Même si leur espace de nomadisation est touché un peu plus tard, la totalité du paysage socio-économique mauritanien est affectée par le déficit pluviométrique qui débute en 1967 pour plus de 30 ans. Auparavant (1965), on estime que 65% des Mauritaniens sont nomades ; ils ne sont plus que 33,16% en 1977 et seulement 4,85% en 2000 (ould Cheikh 1986, 88 ; Mauritanie. Bureau central du recensement 2001, 3). Les troupeaux sont en effet décimés, on évoque chez les Ahl Bârikalla jusqu’à 70 à 80% de perte (MB, Ahl Ijubu, Tlamid Ahl Bârikalla, Inchiri, IV 2002). Les compléments alimentaires pour le bétail font leur apparition et restent aujourd’hui d’usage. De même la chute des rendements agricoles contraint la Mauritanie à dépendre durablement de l’aide alimentaire internationale.

En conséquence, un grand mouvement d’affranchissement des esclaves, devenus des charges inutiles, touche l’ensemble de la Mauritanie. A contrario, d’après quelques témoignages, les Bârikalla ont à l’époque racheté nombres d’esclaves à d’autres groupements trop appauvris, pour les affranchir aussitôt par acte pieux.51 Leur stratégie ancienne d’accumulation de dépendants ne semble pas avoir été affectée par l’épisode climatique. Le caractère relativement débonnaire de leur autorité n’a pas non plus provoqué de fuite massive de leur main-d’œuvre servile. Mais c’est certainement à cette époque que les transferts de ressources entre maîtres et dépendants parmi les Ahl Bârikalla commencent à s’inverser. Et ce alors que leur richesse relative en Mauritanie s’amenuise.

La perte des troupeaux et la sécheresse persistante poussent à la sédentarisation maîtres et dépendants. Toute la Mauritanie voit la création de villages et bourgades, en particulier le long des rares axes routiers et de la voie de chemin de fer. La route Nouakchott-Akjoujt, achevée en 1971, est cependant peu propice à la sédentarisation, les points d’eau en étant éloignés.52 Surtout l’exode rural amène au grossissement des villes existantes où le bénéfice de salaire, direct ou par solidarité, et l’aide publique assurent la survie. La résidence en ville est aussi l’opportunité d’une scolarisation massive. L’explosion de l’urbanisation est cependant un temps freinée à Nouadhibou où la guerre du Sahara fait régner l’insécurité.53

Pour ould Cheikh (1986, 71), si la sécheresse est, dans un mouvement continu de reflux du nomadisme, “l’instrument conjoncturel d’une véritable fracture dans l’histoire du pastoralisme maure”, la guerre du Sahara y contribue par “la ruine de l’État mauritanien et la déconstruction de l’édifice social du pastoralisme” en particulier en raison de l’enrôlement massif des catégories sociales subalternes. D’autre part, durant les trois ans d’un conflit acharné, la quasi totalité des puits creusés par les Bârikalla, à l’exclusion de Bir Nazaran et Mijik, est incluse, théoriquement du moins, dans le territoire mauritanien54 (Carte 5). Mais, après le coup d’État de juillet 1978, la Mauritanie se retire sans gain territorial.55 Sans compter les pertes civiles et militaires, les troupeaux camelins de la zone de conflit subiront de graves dommages. Ils sont en effet pris pour cibles par diverses opérations militaires auxquelles participe l’aviation française. Certaines fractions des Bârikalla (Ahl Vadhel en particulier) en sont aujourd’hui encore à négocier auprès du Polisario l’indemnisation pour les pertes subies de leur fait. La diplomatie ancienne, symbolisée par l’envoi de sorba, reste de mise.

  • Carte 5
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[Guerre du Sahara 1975-1978->http://www.tandfonline.com/action/showPopup?citid=citart1&id=f0005&doi=10.1080/00083968.2014.935100
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Mais le conflit continue entre le Polisario et le Maroc qui construit de 1980 à 1987, du nord au sud, le “mur” (al-hizam, la ceinture). Cette ligne minée de postes fortifiés interdit, entre autres, l’accès des troupeaux au nord (Carte 6). Depuis 1991 et la signature du cessez-le-feu, Maroc, Mauritanie et République arabe sahraouie démocratique (RASD) contrôlent des portions inégales de l’ancien espace de nomadisation, sans qu’aucun accord ne permette la circulation des troupeaux par delà le mur.56 À cela s’ajoute la persistance de champs de mines déposés par les divers belligérants qui continuent d’affecter les troupeaux s’aventurant dans la zone et ce malgré diverses campagnes de déminage.

  • Carte 6
  • [Situation actuelle
    ->http://www.tandfonline.com/action/showPopup?citid=citart1&id=f0006&doi=10.1080/00083968.2014.935100
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– * B – Réorientation tardive du mode de vie

La taille des troupeaux et l’amplitude de la nomadisation se réduisent alors qu’apparaît un nouveau mode de vie marqué par la sédentarisation et l’urbanisation, ainsi que la généralisation des rapports marchands. Les progrès décisifs de la scolarisation moderne permettent progressivement l’accès à de nouveaux emplois.

Si en 1967 l’ouverture des mines de cuivre d’Akjoujt avait créé un lieu attractif pour l’exode rural, sa rapide déconfiture57 a supprimé l’unique source d’emplois d’envergure de l’Inchiri. En 1988 c’est la région mauritanienne qui est à l’origine de la plus forte émigration : 56.41% de ses natifs vivent dans une autre région du pays (Mauritanie. Office national de la statistique 1995, 17). La proximité des villes de Nouadhibou et Nouakchott, principales pourvoyeuses d’emploi et seules régions d’immigration, n’est certainement pas pour rien dans ce record. Aussi l’essentiel de l’ensemble tribal s’agglomère aux villes de Nouakchott, Nouadhibou et Dakhla au Sahara occupé par le Maroc, villes en marge de leur ancien espace de nomadisation et longtemps évitées. Délaissant leurs activités traditionnelles pour divers emplois modernes (fonction publique, pêche, industrie, plus rarement commerce), ils s’installent temporairement d’un côté ou de l’autre de la frontière (exceptionnellement à Tindouf) suivant les opportunités et les réseaux (consanguins et affins surtout) sans s’inquiéter outre mesure des questions de nationalité ou de politique nationale (Acloque 2007). A Nouadhibou, certains constituent en propre des entreprises de pêche pour l’exportation, où priorité est donnée à l’emploi des parents et Tlamid. Longtemps après l’installation de la Miferma qui exploite les mines de fer de Zouérate pour en acheminer le minerai à Port-Étienne, un notable profite du système mis en place par la société minière qui passe par l’intermédiaire d’un représentant de chacune des qabâ’ilprésentes à Port-Étienne pour employer de la main-d’œuvre sans qualification. Le tâcheronnat “tribal”58 apparaît comme une actualisation des rapports de dépendance anciens, où les – très faibles – rémunérations et la rotation importante du personnel relativisent cependant la comparaison.

De nombreux Harâtîn, anciens éleveurs de vaches et cultivateurs, se font chauffeurs routiers. Ils obtiennent la confiance d’opérateurs qui leur confient des poids lourds à remorque sur la route de l’espoir, ou plus récemment le transport du minerai de cuivre d’Akjoujt vers Nouakchott. D’autre part, les pasteurs chameliers deviennent à présent bien souvent les gardiens salariés des troupeaux de quelques riches urbains, en concurrence récente avec des réfugiés touareg. Le mouvement de transfert de propriété sur le bétail vers les commerçants et fonctionnaires urbains et d’extension du salariat des éleveurs avait pris de l’ampleur dès la fin des années 1960 avec la grande sécheresse (qui fait chuter les prix du bétail) et la remise en cause des rapports de dépendance traditionnels (qui rend disponible de la main-d’œuvre) (ould Cheikh 1986, 36). Le troupeau camelin reste encore couramment un moyen de thésaurisation et les Tlamid des Bârikalla profitent d’une excellente réputation d’honnêteté pour en recevoir la charge. Leur proximité des centres urbains côtiers où résident la plupart des propriétaires du cheptel confié est un autre avantage, ceux-ci aimant à visiter leurs troupeaux. Enfin, l’amélioration de la pluviométrie ces dernières années sur leur territoire et la qualité des pâturages du nord de la Mauritanie permettent à l’activité pastorale des Tlamid de se renouveler sous d’autres formes marquées par des déplacements plus modestes et des revenus fixes en numéraire.

À cela s’ajoute la réforme foncière de 1983 qui abolit la propriété coutumière du sol et consacre la propriété complète de l’État mauritanien sur l’immensité du territoire, qu’il se réserve le droit d’aliéner en faveur d’une personne physique ou morale, sans que la qabîla ne puisse officiellement prétendre à ce statut. Les revendications territoriales gigantesques des Bârikalla, auparavant entérinées par la puissance coloniale, sont légalement nulles sous réserve d’une évidente mise en valeur. En ce cas, les terres sont concédées à une personne morale d’un nouveau genre qui doit obtenir l’approbation étatique : la coopérative. Les terres cultivables qui, de leur point de vue, avaient été prêtées à d’autres qabâ’il (Lemdena par exemple confié en 1936 aux Wlâd el-Labb, Wlâd Bu Sba’ et Etchfagha el-Khattat), en deviennent la propriété puisqu’ils en sont les exploitants. Les vastes pâturages dont l’exploitation était possible grâce à leurs puits deviennent domaniaux, et des propriétés encloses viennent aujourd’hui consacrer la privatisation et l’individualisation de leur espace. À ce titre la vaste propriété de l’ancien président Ely ould Mohammed Vall (des Wlâd Bu Sba’) sur la route d’Akjoujt est exemplaire. Il n’est cependant pas dit que la qabîla se serait opposée à la vente, ou en aurait même tiré bénéfice pécuniaire, mais une demande aurait reconnu formellement, par ses droits, sa prééminence. L’accès à certains puits est aussi privatisé. Beni Châb, qui fait la fierté des Bârikalla en raison de la qualité de son eau autant que de la difficulté de son creusement, est depuis longtemps aux mains d’entrepreneurs privés extérieurs qui commercialisent l’eau en bouteille.

Cependant, même s’ils travaillent en ville, l’attachement à la vie des campements les conduit à retourner dans leur bâdiyya (brousse, désert) dès que l’occasion se présente, lors de vacance d’emploi en particulier ou à l’occasion de campagnes électorales. De fait, du moins pour les hommes dont la capacité à voyager est plus reconnue – les femmes restant contraintes à des mobilités de campements, collectives et encombrées – le retour à la bâdiyya est une envie permanente dont les Bârikalla comme la plupart des Bizhan s’acquittent le plus possible. De nombreuses femmes restent à la bâdiyya, dans des campements se déplaçant de quelques mètres pour installer la tente sur un terrain vierge, et proche du “goudron” afin d’accueillir leur mari lors des congés et en fin de semaine. Week-end prolongés, vacances, sont le moyen de retourner seul ou en groupe à une vie de campement, dans ce cas peu nomade. Il existe aussi de longues périodes de plusieurs mois suite à l’abandon d’un emploi urbain ou au retour d’un exil de migration de travail ; 59 cette seconde option concerne, de visu, plutôt des personnes aujourd’hui âgées d’une cinquantaine d’années. Il n’est pas dit que les générations plus jeunes et plus anciennement urbanisées perpétuent cette habitude.

– * Conclusion

Ainsi les Bârikalla, devenus grands nomades pour s’affranchir de la tutelle des puissances voisines et accéder au statut de Zwâyat ech-Chems, ont vu leur territoire partitionné et leur milieu écologique se dégrader durablement. Les conflits et la sécheresse ont rendu l’ancien mode de vie nomade résiduel, et les sources de la richesse se sont déplacées en ville.

L’adaptation à la vie urbaine et moderne a pris du temps et reste partielle. Leur puissance propre qui se mesure à la clientèle rassemblée, et qui était autrefois le facteur principal de leur richesse, a aujourd’hui du mal à se traduire politiquement. Dans le fonctionnement de l’État mauritanien contemporain où l’activation des solidarités tribales et des réseaux assure – entre autres par la voie des élections – l’obtention de postes officiels, les divisions tribales et les errements politiques semblent interdire aux Bârikalla d’en bénéficier autant qu’on pourrait l’imaginer. Leur constitution en marge des lieux de pouvoirs trouve peut-être à se perpétuer dans leur relative exclusion (particulièrement sensible sous la présidence d’ould Taya entre 1984 et 2005) du système étatique moderne.

Devenus en grande partie sédentaires et urbanisés, les Bârikalla n’en restent pas moins nomades dans leur façon d’appréhender la ville et leurs logements qui ne s’encombrent par exemple que de très peu de mobilier. Les hommes se déplacent entre des logements tenus par les femmes de la parenté et les voitures leur servent souvent de salons ambulants dans lesquels, pour de longs trajets, peut même se faire le thé. Le lien avec la bâdiyya est toujours vivace et toute occasion est saisie pour s’y rendre.

L’attachement au terroir d’origine est aussi manifeste dans les discours. Ainsi, lorsqu’Ahmed Baba Miské, chef putatif de la qabîla, de retour d’exil en France tient une conférence publique à Nouakchott en 1999, c’est pour célébrer une idéalisation du paysage commun et du mode de vie associé à la bâdiyya avec un succès d’estime certain. Il glisse :

“Nous n’habitons pas un seul endroit, une demeure installée pour toujours, une cité, un village…. J’éprouve toujours un malaise … quand on me demande d’où je suis. Akjoujt, Chinguitti, Atar ? Trois fois oui. Mais il resterait mille autres lieux, ergs, rags, guelbs, mille pâturages où j’ai vécu en me sentant chez moi chaque fois sans restriction, de l’Aoukar au Rio de Oro, de Nouakchott à Tijegja … je pourrais dire à la rigueur, je suis du “Sahel” à condition d’y inclure au moins l’Inchiri et l’Adrar…. La Bâdiyya c’est tout cela, c’est un lieu sans limites, sans demeures fixes, mais auquel ses citoyens sont aussi attachés que les sédentaires à leur village unique ; aussi attachés à chacune de leurs mille demeures d’un jour ou d’un mois que le citadin à sa seule maison de toujours.” (Miské 1999, 4–5).

Il fait ainsi preuve d’une forme d’“unité narrative du territoire” (Zempléni 1996, 337) emprunte de nostalgie qui fait écho à l’ouvrage de Muhammad Abdallahi wull Bukhary wull Vilali, Kitab al-‘Umran qui, à la fin du XIXe siècle, arpentait le territoire tribal de son écriture pour transmettre les lieux d’inscription de la vie collective : l’œuvre commune, et la propriété, par la recension des puits, l’histoire du groupe sur son sol par des événements et des anecdotes localisés, ainsi que l’empreinte des ancêtres, et la sacralité du territoire, par l’évocation des cimetières principaux, lieux de manifestations miraculeuses de nos jours encore. Une géo-graphie littéraire qui lie, par l’écriture, l’espace au groupe tribal.

– * Notes

1. Qabîla (pl. qabâ’il), couramment rendu par l’ambigu “tribu”, désigne un groupe de filiation patrilinéaire et l’unité politique de base de la société bizhan (hassanophones de l’Ouest saharien). L’adjectif “tribal” est conservé dans ce sens. Je désigne par “Bârikalla” les descendants de l’ancêtre éponyme et le groupe adjoint des Bukhari Cherif, “Ahl Bârikalla” s’applique à ces groupes nobles et à leurs dépendants (tributaires et esclaves). La translittération de l’arabe littéraire préférerait “Bârikallah” ou “Ahmad Abu Zayd” pour son père, mais la transcription phonétique “Bârikalla” ou “Ahmed Bezeyd” est plus proche de la réalisation du hassâniyya.

2.  N’ont été retenues que celles traitant de la période coloniale et conservées aux Archives nationales de la République islamique de Mauritanie (ARIM) à Nouakchott.

3.  Surtout Chiam ez-Zwâya, in Hamet (1911).

4.  Les cinq qabâ’il initiales sont les Wlâd Deyman, les Idaw Day, les Idjadj Chagha, les Idag Bohennin et les Ideyqub. Suite à des recompositions, elles sont aujourd’hui les Wlâd Deyman, les Idjadj Chagha, les Ideyqub et les Ahl Bârikalla.

5.  Cette organisation guerrière serait précurseur des divers mouvements djihadistes d’Afrique de l’Ouest depuis l’émergence de l’Almami Malik Sy au Boundou en 1690, jusqu’à celle de Samory Touré à la fin du XIXe siècle (Curtin1971).

6. ’Amr el-Wali Naser ed-Din, in Hamet (1911, 194).

7.  En juin 2008, des Wahhabites mauritaniens venant de Nwamart (tombe de Lemrabot w Mutali, Tendgha), ont prêché sur la tombe d’Ahmed Bezeyd. L’un d’eux prononça : “celui-là n’est plus qu’un squelette, il n’est rien, il ne fait ni bien ni mal, trop occupé par lui-même, c’est un imposteur (dejjal)”. En conséquence de ce sacrilège, il aurait miraculeusement disparu, et ses compagnons se seraient enfuis. Une forte affluence s’en est suivie en vue de profiter de la baraka du moment (SAB, Paris, VII 2008).

8.  Il s’agit ici encore d’un rapide résumé d’éléments discutés dans ma thèse à venir qui s’appuie entre autres sur le travail d’ould Cheikh (1985).

9.  Dans les textes postérieurs des Zwâya est mis en avant le paganisme des populations de la rive gauche (cheikh Sidi Mohammed wull cheikh Ahmed wull Suleyman (in Hamet 1911, 159), Muhammad al-Yadâlî (in ould Cheikh 1985, 848), voire wull Vilali dans al-‘Umran). Le mouvement est pourtant connu par les contemporains français comme le “toubenan” terme issu de tawba, repentir, qui présuppose une adhésion, au moins formelle, à l’islam (voir thèse en cours). Je ne connais pas de telle reconnaissance de l’islamité des populations noires par les auteurs bizhan, ce pourrait être en vue de légitimer le djihad et l’appropriation de leurs terres.

10. In Kitab al-‘Umran, par wull Vilali. Une édition philologique en arabe en a été proposée à l’Université de Nouakchott (mint Adda 1994), dont je dispose d’une copie, malheureusement amputée de ses notes et gloses, à laquelle je me réfère grâce aux traductions de Sid Ahmed ould Maouloud. Une traduction partielle concernant les puits en a été produite dans la même université (ould Bounana 1995). Enfin un commentaire succinct de cet ouvrage a été proposé par ould Eida (2011) à partir de cette même copie.

11. Certains le tiennent pour son demi-frère maternel. Ses descendants sont aujourd’hui intégrés aux Ideyqub.

12. La défaite des Zwâya alliés de principautés noires lors de char Bubba est donnée classiquement comme l’origine de l’organisation sociale du Sud-ouest mauritanien. En effet la plupart des qabâ’il de cette zone y ont participé, et la condition faite aux vaincus de renoncer aux armes, de fournir des montures et d’abreuver les troupeaux des guerriers à leurs puits a figé la stratification sociale entre groupes religieux et groupes guerriers pendant les siècles suivants. Les autres régions, à l’est et au nord, semblent être bien moins rigides quant au statut. C’est de même depuis le sud-ouest qu’apparaît à ce moment l’institution des émirats, probablement sous influence européenne, car vraisemblablement lié au versement des droits de commerce connus sous le nom de coutumes (voir Taylor 2002).

13. Le conseil reçu d’un saint homme à Médine était de s’installer “entre les deux palmiers”. Leurs positions varient suivant les interlocuteurs. Ce pourrait être interprété comme l’espace entre les lieux de sédentarité (voir thèse en cours).

14. La tradition orale chez les Wlâd el-Labb, rapporte qu’en route pour le pélerinage (non attesté par les Bârikalla), Ahmed Bezeyd donne le surnom de Labb (lionceau) au fils de Chweykh et lui fait un hajab (talisman) protecteur. Quand Labb est devenu chef des Wlâd Dleym, il aurait protégé Bârikalla en fuite (MZM, Wlâd el-Labb, Nouakchott, V 2006).

15. Ce déplacement le temps d’une génération, puis la fixation des zones de nomadisation (les mêmes cimetières sont toujours utilisés), ne permettent pas de penser qu’il s’agisse de glissements successifs et progressifs comme observé ailleurs, en particulier la “technique transhumance-migration, typiquement peule” décrite par Dupire au Niger (1962, 78s). De plus, la cohabitation des Wodaabe avec d’autres groupes (Twareg, Haoussa, Bouzou, …) dont la propriété des terroirs n’est pas contestée et pour l’accès auxquels ils s’acquittent de droits d’usages ou nouent des alliances matrimoniales, achèvent de distinguer les modes d’occupation.

16. La question du partage d’une même ‘asabiyya avec tous les Tachumcha est sujet à controverses abordées plus en détails dans ma thèse en cours.

17. Le seul lieu collectif ancien de la qabîla est Deman en Inchiri où une dune (Agwilil Rwayg) servait de point de rassemblement des caravanes en direction de Saint-Louis (probablement une activité mineure de l’époque coloniale). La plaine alluviale, dont le partage a été fixé par les colons en 1936, y est cultivée saisonnièrement par chacune des fractions et a été tout récemment enclose. C’est aujourd’hui habité en permanence, surtout par des Tlamid, en un habitat très dispersé de kheyma (tentes), de mbar (préaux), de tikit (huttes) et de baraques. L’écoulement des eaux du Khatt Ntomadi a été en partie stoppé en novembre 2011 par les barrages d’une compagnie minière indienne (BUMI). Des procès sont en cours.

18. Un assèchement plus tardif de l’espace de nomadisation des Ahl Bârikalla est fortement probable. Pour Webb (1995), même s’il explique les tensions politiques de la fin du XVIIe siècle par une sécheresse temporaire et hypothétique, de 1600 à 1850 les zones écologico-climatiques auraient glissé de 200 à 300 km vers le sud. Le climat essentiellement saharien n’aurait donc pas été un choix mais une contrainte croissante. La migration des Bârikalla s’oppose au mouvement général vers le sud, qui donne l’impression d’un “pays qui descend” (ould Cheikh 1995) et contredit le déterminisme écologique que laissent entendre ces écrits.

19. Herbe salée (Nuccularia Perrini) tributaire des rares précipitations, elle permet d’éviter l’apport de sel gemme dans l’alimentation cameline (comme l’aghasal). L’askaf augmente l’appétence pour les herbes alentour (eteyr, dhemban,hadh, gahwan, echgara, arche, jamre, …) et améliore la qualité de la viande et du lait. Une pluie donne naissance à un pâturage pluriannuel, comme l’herbe morkbe (première à pousser après la pluie) (MAV, Ahl Mawlud, Nouakchott, XI 2011). Au nord enfin, les pluies d’hiver ne font pas pourrir l’herbe sèche.

20. L’identité de l’inventeur des puits reste souvent à établir et la présence parmi leurs Tlamid d’anciens occupants de la côte, en particulier les Gdâla, laisse envisager d’autres scénarios.

21. Les contestations apparaissent aux frontières de la zone.

22. On retrouve aussi un conflit au tournant des années 1920-1930 autour des puits de Mamghar revendiqués par les Wlâd Seyid, dont l’un, Eyznaye, sera, sous l’égide coloniale, cédé aux Bârikalla (Acloque 2011).

23. D’autres Zwâya ont recours à d’autres subterfuges pour légitimer leurs propriétés comme la conquête sur les païens, ou la concession par un pouvoir de fait (voir ould Al-Barrâ and ould Cheikh 1996).

24. Au sujet de cette notion complexe qui renvoie au sacré, à l’honneur et à la protection, on se reportera à Bonte (2008, 348-51).

25. Pour l’essentiel, cette partie, basée sur des traditions orales, ne peut faire l’objet de datations précises. L’établissement de relations avec les groupes voisins tant guerriers que tributaires ont une tendance naturelle à se dire de toute éternité, ou du moins à l’origine du groupe et à Ahmed Bezeyd particulièrement.

26. Kerkchet Mawlud au nord d’Arguin aurait été un espace (zone d’éboulis) de production ou de commercialisation de charbon par Mawlud wull Bârikalla, probablement en lien avec le comptoir européen.

27. Deux figures intellectuelles se sont particulièrement fait connaître dans les controverses juridico-théologiques de l’Ouest saharien, Sidi Abdalla wull Vadhel (XVIIIe) et le cheikh Mohamd el-Mâmi (XIXe), dont le prestige contribuera grandement à l’aura du groupe. Il n’est pas lieu d’en rapporter les détails pour lesquels on se reportera à ma thèse prochaine.

28. Selon certains, le Lamalif (la, “non” en arabe) serait scarifié sur le bétail en commémoration du refus de char Bubba.

29. L’histoire des Wlâd Dleym avant la pénétration coloniale est particulièrement méconnue. Ils auraient, à la manière des Rgeybât d’aujourd’hui, été partagés en deux grands ensembles, et n’auraient eu que peu d’unité et donc rarement de chef incontesté. La plupart des groupes constitutifs n’en sont plus à présent et nous sommes réduits à des hypothèses les concernant (voir thèse en cours).

30. Miské (1935) concède que les Legweydsat sont les tributaires qui s’acquittent du plus de hrum (sg. horma) : en plus de ce qu’ils donnent aux Bârikalla, ils versent 12 autres redevances (surtout aux Wlâd el-Labb, ‘Eleb, Wlâd Bu Sba’, La’weysiat, Idaw’ich, Wlâd ‘Ammoni, Wlâd Dleym). Il s’agit plus particulièrement des Ahl Alwimin.

31. Après avoir déjà bénéficié d’un meilleur approvisionnement en fusil, les Wlâd Bu Sba’ sont armés par les Français pour se venger des qabâ’il de l’Adrar impliquées dans l’échec de la mission Blanchet (1900). Après quelques années de glorieuses victoires sur tous les guerriers de la région, ils finissent écrasés par les Rgeybât.

32. Ouvrage en arabe d’un Idaw’ali publié au Caire en 1911, traduit partiellement en français (Ahmed Lamine ech-Chenguitti 1953).

33. Ces expéditions guerrières se distinguent par leur taille : moins (mejbur) ou plus (ghazzi) d’une cinquantaine de fusils.

34. “Le 16 novembre 1907, le fils d’Abdul Aziz … a conduit au poste, un troupeau de 43 moutons et 10 chèvres … [qui avec les 6 bœufs vendus le 12 par un Gorah] ont permis à tous (poste, service travaux, concessionnaires) de se ravitailler en viande fraîche” (courrier n°2P de Port-Étienne à GG, 30-11-1907, ARIM E1/80). L’approvisionnement d’Akjoujt en septembre 1908 est rapporté par Frèrejean (1995, 409).

35. Sur les 70 personnes qui participent à la razzia, 11 sont Wlâd el-Labb (HW, Wlâd el-Labb, Nouakchott, II 2000).

36. Cheikh Hassana, pourtant de mère Wlâd el-Labb, va sur ce point plus loin que son père qui dans une missive exhortait les Rgeybât à épargner “ceux qui, parmi les musulmans, cohabitent avec les mécréants, car ils ont des excuses légales. Veuillez à ne pas prendre les biens des Musulmans par l’injustice, en utilisant notre autorité et au nom de l’émigration” (El-Bara 2007, 131).

37. Mohammed wull ‘Abd el-Aziz, dirigeant de la fraction Ahl Habiballa, aurait accepté de s’enregistrer côté français, entre autres conditions de ne pas fournir de monture aux troupes coloniales (AMH, Ahl Abdallahi, Nouakchott, IV 2006).

38. Brouillon anonyme non daté (1934 ?). ARIM E2/135.

39. Les Bizhan connaissent un impôt sur les troupeaux à l’imitation de la zakat. Les populations noires du sud de la Mauritanie se voient par contre appliquer un impôt de capitation.

40. Bargados (2001) insiste sur le rôle de la frontière entre l’Espagne et la France dans le factionnalisme interne aux Wlâd Dleym. Il me semble que de la même façon le recensement auprès de l’un ou l’autre Cercle, avec inscription audiwan sous l’autorité d’un chef, a pour le moins accentué les divisions des Ahl Bârikalla, sans reprendre pour autant la segmentation lignagère.

41. En 1936, Miské (1937, 496) recense “approximativement” 2619 chameaux pour 1673 bovins chez les Ahl Bârikalla, mais se plaint d’une pauvreté récente en chameaux, certainement provoquée par ces départs. La richesse des seuls Lah’wej en fuite est estimée en 1933 à environ 2000 chameaux (RP Adrar, juil.–août 1933, ARIM E2/118). En comparaison, en 1938, 75.871 chameaux et 212.175 bovins sont dénombrés (chiffres considérés comme sous-évalués d’un tiers) pour toute la Mauritanie, en dehors des Hodh rattachés alors au Soudan (Beyries, Rapport annuel sur le commerce et l’industrie pendant l’année 1938 (ARIM, Q411), cité par ould Cheikh 1986, 19 n.3). La sous-estimation s’explique par l’impôt zakat qui porte sur le bétail.

42. En 1936 à Akjoujt, Hama (chef Ahl Mawlud), après avoir reconnu le retour de plus de 62 tentes de tributaires entre 1912 et 1933 depuis cinq qabâ’il différentes, parfois avec l’aide des Français, leur réclame de récupérer les 39 tentes attirées par les Ahl cheikh Sa’d Buh, Ahl cheikh Sidiyya, Wlâd Bu Sba’, mais aussi Tachedbit, Etchfagha Hommud, Etchfagha el-Khattat, Wlâd Ahmed, Lemtuna, Idaw el-Hajj, Tagatt (notes anonymes, 20 décembre 1936, ARIM E2/135). Pour un développement sur le sujet on se reportera à ma thèse en cours.

43. Sur cette ville, on se reportera à l’ouvrage collectif en préparation sous ma direction (Acloque (dir.)En préparation).

44. Les annales des Wlâd Bu Sba’ (ABB) désignent l’année 1348 H (1929-30) comme celle du riz (maru), en raison des premières distributions qui auraient eu lieu à Saint-Louis suite à la disette, et l’année 1349 H (1930-31), comme celle des poids (lawzan) où apparaît le système métrique dans l’organisation de cette distribution.

45. Devant les réquisitions françaises, un goumier, Ahmed el-Labb, notable des Wlâd el-Labb, s’est exclamé “les Allemands vous ont bien battus !” (assel ghalbukum almanye), sous-entendu : pour que vous soyez contraints à faire appel à nos troupeaux. L’expression s’emploie pour éconduire un quémandeur (LL, Wlâd el-Labb, Nouakchott, I 2000).

46. Les divisions de diwan ne furent cependant pas remises en cause et s’accentuèrent même jusqu’après l’indépendance.

47. Cette famille donne alors son nom à la presqu’île inondable qu’elle habitait face à la Charka, “Dakhlet Ahl Sidi Brahim”, nommée aujourd’hui simplement Dakhla et inhabitée.

48. CB, Ahl Habiballa, Rosso-Lejwad, XI 2005, MB, Ahl Habiballa & SMH, Ahl ‘Abdallahi, Inchiri, XII 2008. Il s’agit probablement de sa visite à Dakar d’août 1958. Les esrub ayant permis parallèlement le retour d’une partie des troupeaux, l’opération aurait été largement bénéficiaire (Le Tourneau 2006, 23).

49. Dont Ahmed Miské qui est probablement le premier Bizhan à publier un texte en français (Miské 1937).

50. Seul un orphelin, arrivé à Port-Étienne dans les années 1930, deviendra commerçant accrédité par la SIGP dans les années 1950 (JEAB, Ahl Habiballa, Nouakchott, XI 2011).

51. La question de l’affranchissement de ces esclaves et surtout de ceux possédés précédemment est incertaine, sachant que les rapports asymétriques ne cessent pas avec l’affranchissement. Les Bârikalla ont la réputation exagérée de ne jamais affranchir. Chaque maître y est seul habilité traditionnellement. Nombre de jeunes disent avoir collectivement affranchi leurs esclaves dans les années 1970-80 pour des raisons politiques, mais tous maintiennent des relations (voir thèse en cours).

52. Sauf Burjeymat (ancienne étape de l’entreprise de commerce Lacombe), Lejwad (“projet”) où est expérimentée vers 1980 une palmeraie alimentée un temps par l’adduction d’eau d’Akjoujt, et le-Bweydhat, renommé el-Asmar par ses habitants Wlâd Bu Sba’.

53. De 1961/62 à 1975, Nouadhibou est passé de 5283 habitants à 22.962. En 1977, sa population s’est tassée à 22.365 habitants (ould Cheikh 1986, 100).

54. L’accord du 14 avril 1976 établit la nouvelle frontière au long de “la ligne droite, partant du point d’intersection de la côte atlantique avec le 24eparallèle nord et se dirigeant vers le point d’intersection du 23eparallèle nord avec le 13eméridien ouest” (AAN 1977, 848).

55. A l’exception de deux zones occupées sans accord international connu : l’ouest de la péninsule du cap Blanc (sans construction mauritanienne) et l’angle de la frontière près de Choum où sont posées les voies du train minéralier.

56. Jusqu’aux débuts des années 2000, le passage des troupeaux (les pasteurs restant de part et d’autre du “mur”) se faisaient aux risques et périls des propriétaires. Depuis, c’est en fraude, avec la complicité de militaires marocains, que se poursuit le trafic encouragé par le différentiel de prix (un chameau à 180.000 ou 200.000 UM en RIM valant 500.000 UM au Maroc). Seuls les grands cadres du Polisario rejoignant le Maroc (‘aydin, les repentis) peuvent y faire entrer légalement leurs troupeaux (HA, Wlad Dleym Ludeykat, Nouakchott, XI 2011). Le franchissement est par contre simplifié pour les voyageurs détenteurs de visas : en 2005 est achevée la route entre Dakhla et Nouadhibou, à l’exclusion des quelques kilomètres entre le mur et la frontière sous l’autorité de la RASD.

57. La Somima achève son activité en juillet 1978. Elle avait pris la suite de la Micuma créée en 1953. L’installation de nouvelles sociétés pour l’exploitation de l’or (Samim puis Morac) et surtout plus récemment du cuivre (MCM en 2005) redonne de l’activité à la ville à l’abandon.

58. La Snim appelle depuis peu à la constitution de sociétés sous-traitantes modernes et spécialisées où l’encadrement n’est plus de leur fait.

59. Les exils de travail, ou d’étude, prennent en général fin au bout de quelques années avec un retour définitif au pays.

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Benjamin Acloque

Published online: 01 Dec 2014


إضافة سيد احمد ولد مولود

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