MERCI, PRESIDENT WADE
On comprend aisément pourquoi, au lendemain de la signature de l’accord de sortie de crise à Nouakchott. On comprend mieux encore en réfléchissant à la complexité de la situation inextricable qu’il fallait résoudre et dont on aura une petite idée en lisant les lignes suivantes, écrites à la veille de la négociation-marathon de Dakar :
« Demain se joue à Dakar une partie décisive pour la Mauritanie. Le langage sportif est de mise, car il y a deux équipes qui s’affrontent : d’un côté les Mauritaniens, toutes tendances confondues, décidés à continuer leurs interminables querelles…et, de l’autre, une équipe internationale unie malgré son extrême diversité et même certaines incompatibilités notoires ; une équipe unie et décidée à obliger les joueurs mauritaniens à… gagner. Le drame c’est qu’ils ne peuvent gagner qu’ensemble et que chacun d’eux est persuadé qu’il ne peut gagner que si son voisin perd. Certains (sinon tous) préfèreraient à la limite perdre, si c’était le seul moyen de faire perdre leur frère-ennemi. Ils ont bien failli y parvenir !
Pourtant, beaucoup de chemin avait déjà été fait, grâce aux médiations libyenne et sénégalaise désormais unifiées sous le double et prestigieux patronage du Guide Mouammar Kadafi et du Doyen des Chefs d’Etat Africains le Président Abdallahi Wade, soutenus par la Communauté internationale représentée par le fameux « Groupe de Contact ( UA, UE, ONU, Ligue Arabe, OCI, OIF… ). ».
C’était là le début d’un texte par lequel je voulais attirer avec force l’attention de tous sur des évidences dont nos regards préféraient se détourner : le fait que la Mauritanie avait avant tout besoin de retrouver d’urgence un peu de calme, une certaine paix des esprits, de cesser de dilapider l’essentiel de ses faibles moyens dans des duels stériles visant à gagner les uns contre les autres la sympathie de partenaires étrangers impliqués à leur corps défendant dans des querelles qui ne les enthousiasmaient guère. Mais je renonçai finalement à publier quoi que ce soit à ce moment-là, pour éviter tout risque de complication : les esprits étant surchauffés et les sensibilités à fleur de peau, un mot pouvait être mal compris ou mal interprété, de bonne ou de mauvaise foi…Je me suis donc contenté de prêcher la « bonne parole » dans des cercles restreints mais plus ou moins influents et de … prier.
Merci donc, M°Wade.
Merci aussi, bien sûr, à tous ceux qui ont joué un rôle actif, utile, pour réussir cette « mission impossible ». Merci d’abord – à tout seigneur tout honneur – au Guide Mouammar Kadafi dont l’apparition spectaculaire a certes suscité la polémique. Mais l’arrivée d’un éléphant de ce calibre, en liberté – et quelle liberté ! – dans un environnement aussi sensible ne pouvait être sans effets sur les porcelaines alentour. D’où un choc sans doute salutaire sur une situation gravement bloquée jusque-là.
On peut citer aussi, sans suivre nécessairement un ordre protocolaire strict : Cheikh Tidiane Gadio ( MAE du Sénégal), le Ministre Ali Triki et les autres émissaires du GUIDE Libyen ( dont le dernier, Madani Azhari a eu l’honneur de représenter le Président de l’UA à la cérémonie de signature), le Responsable du CSP de l’UA Ramdane Lamamra qui a joué un rôle de premier plan, comme le SGA de la Ligue Arabe Ahmed Ben Halli, le Représentant du SG de l’ONU Said Djinnit, ainsi que ceux
On ne peut oublier les ambassadeurs étrangers qui ont joué à certains moments un rôle décisif.
On a rarement vu la Communauté internationale faire preuve d’une telle unanimité, d’une telle volonté de régler un conflit de ce genre. Le succès n’était pas assuré pour autant car il ne s’agissait pas d’imposer brutalement une solution toute faite, mais de convaincre les parties en construisant avec elles, pas à pas, un accord improbable qui ne satisfait aucune d’elle et qui s’avère au bout du compte le seul possible. La médiation est un art délicat dont la pratique nécessite un ensemble de « qualités » – y compris quelques défauts rarement réunies chez un seul être ; entre autres : une patience sans limites, une grande confiance en soi associée à une modestie vraie, une absence de susceptibilité et une très forte capacité d’ « encaisser » les critiques et les accusations les plus injustes, une bonne dose de lucidité et, bien évidemment, des qualités ordinaires comme l’intelligence, le dynamisme, l’audace. Il faut aussi être doté d’une sensibilité particulière pour les nuances. Il faut enfin ce je ne sais quoi d’insaisissable- une sorte de Baraka sans doute – qui permet à la miraculeuse alchimie de « prendre ».
Il fallait toutes ces qualités et plus chez le médiateur en chef pour venir à bout de la redoutable rhétorique de dialecticiens aussi retors que des négociateurs mauritaniens, et pour harmoniser les positions de ses collègues internationaux dont la multiplicité est une arme à double tranchant. Abdallahi Wade mérite assurément une mention toute spéciale pour avoir su « gérer » l’ingérable attelage qu’il formait avec son ami Mouammar Kadafi dont la médiation ne pouvait évidemment pas avoir échoué et qui donc a finalement réussi en devenant duelle…
On ne diminue certes pas le mérite du Président sénégalais en attribuant une part importante de sa réussite à l’une de ses qualités éminentes d’homme d’Etat : celle de savoir bien choisir ses collaborateurs ; si on en juge, en tout cas, par l’impressionnante virtuosité de son Ministre des AE. Peut-on parler à son sujet d’un futur Talleyrand africain (avec la loyauté en prime ) ou d’un Amr’Bn el Âaç moderne ? Je ne crois pas mettre en danger la carrière de ce grand ami de la Mauritanie qu’est devenu Cheikh Tijani Gadio, en faisant de lui un éloge bien mérité. Ce serait assurément le cas si nous avions affaire à un de ces régimes dont les Chefs voient partout des rivaux potentiels au lieu de penser d’abord à utiliser au mieux les élites pour servir leur pays et, en même temps, leur propre grandeur.