L’Amérique et le Général Aziz
Au moment où je boucle cet article j’apprends avec indignation l’assassinat du ressortissant américain Christophe Languet, tué ce matin, à Nouakchott aux environs de 8 Heures, par trois inconnus enturbannés, dans une rue du Ksar, non loin du siège de l’ONG «Nora» pour laquelle il travaille. Je condamne avec la plus grande fermeté cet acte terroriste lâche et odieux. Aucune cause ne saurait justifier le meurtre délibéré de civils innocents.
Il est difficile de ne pas remarquer à quel moment survient cet acte. L’agression a lieu au moment où plusieurs analystes soulignent que l’ambassade des Etats Unis à Nouakchott est pour beaucoup dans les tensions politiques actuelles en Mauritanie et qu’elle serait derrière la proposition de dissolution du HCE, qui bloque l’application de l’accord de Dakar. Ce n’est pas ce que les Mauritaniens attendaient de l’Amérique d’Obama, après avoir désespéré de celle de Bush ! En tout état de cause, les multiples «ratés» de l’ambassade américaine à Nouakchott n’augurent rien de bon. L’amplification de la violence montre les limites de la méthode US. Vous avez beau avoir les meilleures technologies du monde et les armes les plus sophistiquées, mais gare aux erreurs psychologiques à l’endroit des peuples! L’antiaméricanisme qu’on observe chez nous et ailleurs sert de ciment à toutes les oppositions, en réveillant parfois les « vieux démons » des peuples.
Mise à la casse du messianisme de Bush.
La mise à la casse du messianisme du Grand Moyen Orient (GMO) de l’administration Bush, qui semble guider les orientations de la politique arabe d’Obama, n’a pas opéré pour la Mauritanie, peut-être parce que notre pays n’est pas un important fournisseur de gaz naturel pour les Etats-Unis ! Déjà sous Bush le projet initial américain de GMO a subi des retouches importantes entre le moment de son lancement et le sommet de l’Otan à Istanbul (juin 2004).
Le «Grand Moyen-Orient» est un terme utilisé par l’ancien président américain George Bush et son administration pour désigner un espace s’étendant du Maghreb et de la Mauritanie au Pakistan et à l’Afghanistan, en passant par la Turquie, le Machrek et l’ensemble de la péninsule arabique. Depuis le 11 septembre 2001, le complexe militaro-industriel US, les services de renseignement, le travail d’expertise polémologique, etc., se sont redéployés et recentrés sur l’univers arabe et musulman. Il s’agit d’une option doctrinale majeure pour les USA. La réforme politique des pays arabes et musulmans n’est pas considérée en soi, mais par rapport à ses retombées positives sur la sécurité américaine. Des pays arabes démocratiques et si possible prospères seraient moins enclins, pensent les théoriciens de la « contagion démocratique », à cultiver la haine de l’Amérique et plus conciliants à l’égard d’Israël.
Obama et le Maghreb.
C’est sous la pression européenne que fut modifiée l’appellation Grand Moyen-Orient qui ne prenait pas suffisamment en compte la diversité des pays concernés et que fut clairement reconnue l’action et le rôle de «conciliateur» de l’Europe en Méditerranée et dans le monde arabe. L’Europe méditerranéenne – France et Espagne principalement – fait travailler ses « think tanks » sur le rôle des acteurs extérieurs sur la rive sud de la mer intérieure. Il en a résulté que l’un des tous premiers exposés sur la politique de l’administration Obama au Maghreb a eu lieu a Paris le 17 avril dernier à l’occasion d’un colloque sur le thème Etats-Unis-Maghreb : enjeux et perspectives, organisé par l’IFRI (institut français des relations internationales) et la Casa Arabe de Madrid. Deux responsables dans la nouvelle administration américaine, Alan Pino en charge du Proche Orient et de l’Afrique du Nord au NIC (National Intelligence Council) et Stéphanie Williams, nouvelle directrice du bureau des affaires nord africaines au département d’Etat, y ont développé un point de vue actualisé des relations entre les Etats-Unis et le Maghreb. La perception classique du Maghreb n’a pas changé à la surface : «c’est une région politiquement stable de notre point de vue. Mais seulement dans le cours terme» a précisé Alan Pino. Il a évoqué «six raisons d’être inquiet pour cette région au-delà des deux ou trois ans». Alan Pino place les incertitudes sur les scénarios de succession «en particulier en Tunisie et en Algérie», en tête des motifs d’inquiétude pour Washington. Il a cité ensuite les variations sur le marché du pétrole et du gaz (Algérie, Libye), le niveau de chômage des jeunes très important même chez les diplômés universitaires (Maroc, Algérie) ; l’impact de la récession mondiale sur les économies les plus ouvertes du Maghreb (Tunisie, Maroc), la persistance de régimes autoritaires qui ne laissent pas de marges d’expression et d’organisation suffisante aux populations, et enfin la présence de groupes islamistes armés actifs qui peuvent déborder à tout moment au-delà du Maghreb. Alan Pino s’est fait le porte parole d’une vision quelque peu pessimiste sur les perspectives à long terme de réformes politiques au Maghreb, «elles sont plutôt bloquées actuellement» a-t-il épilogué pour le déplorer.
Les déclarations de principes «nous voulons travailler avec l’UMA» ou «renforcer la stabilité et la paix» l’ont disputé aux affirmations les plus convenues : «le Maroc est un allié important des Etats-Unis en dehors de l’Otan» ou «l’Algérie est un important fournisseur de gaz naturel pour nous». Mme Afrique du Nord à Washington a toutefois insisté sur le fait que «le Sahara occidental est une préoccupation majeure pour Mme Clinton», la nouvelle secrétaire d’Etat US, ainsi que sur la volonté américaine de soutenir les programmes en faveur des femmes et des jeunes ainsi que tous les efforts d’intégration économique de la région. Les idées de stabilité, de bonne gouvernance et de déficit de démocratie « marquent le retour à une diplomatie plus conventionnelle.»
Rejet arabe du messianisme américain.
Il faut reconnaître que le projet américain d’un «Grand Moyen-Orient», a provoqué une rare unanimité de rejet chez la classe politique dirigeante arabe. L’administration Bush voulait forcer les régimes arabes à se démocratiser après l’invasion de l’Irak. La victoire du Hamas en Palestine en 2006 et la «poussée électorale» des Frères musulmans en Egypte ont remis le projet dans les cartons. On agite les risques de déstabilisation de la région et des «tragédies à l’algérienne», selon la formule de Hosni Moubarak. Le président égyptien a résumé la réponse des Arabes à la proposition américaine promotrice de cette «initiative pour un Grand Moyen-Orient» qui insiste sur la démocratisation, la réforme de l’enseignement, pour le soustraire à l’influence des fondamentalistes musulmans, la promotion de la femme considérée comme un des piliers de la modernisation et sur l’ouverture économique pour une zone allant du Maroc à l’Afghanistan.
Obama et Bush, Même combat anti-HCE.
Déjà, dans sa version finale, le projet «Grand Moyen-Orient» avait été ramené à de plus modestes proportions et avait perdu son caractère prescriptif. Le modèle de la démocratie imposée de l’extérieur avait été remplacé par celui, plus rassurant, de partenariat. Cela n’a pas empêché les Etats-Unis de condamner le changement du 8 Août 2008, intervenu en Mauritanie, dès ses premières heures. Ils ont durci leur position depuis que le Général Mohamed Ould Abdel Aziz a exigé le départ de l’ambassadeur de l’Etat hébreu à Nouakchott. Pas un contact officiel n’a eu lieu entre le nouveau pouvoir et l’Administration américaine. Par contre, le président renversé, Monsieur Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, reçoit régulièrement la visite de l’ambassadeur américain ou de son chargé d’affaire quand il est absent. Les Etats-Unis ont, dès le troisième mois, établi une liste noire où figurent les noms de tous les membres du Haut Conseil d’Etat (HCE), des membres de son gouvernement et de ses soutiens civils. Les membres de cette liste noire sont interdits du territoire américain et leurs avoirs à l’étranger sont gelés. L’ambassadeur américain a, d’après un leader de l’opposition organisé une alliance contre la tenue des nouvelles élections. L’ambassade américaine à Nouakchott a mobilisé 720 millions de dollars pour financer l’opposition aux élections et des experts ont été dépêchés pour former la mouvance anti-HCE à la contestation et aux affrontements avec les forces de l’ordre durant les manifestations. Ces experts portent des titres de voyage américains et canadiens, mais seraient en réalité des ressortissants israéliens. Nouakchott semble avoir remplacé le Caire et autre Riad dans le rêve démocratique Américain… Nouveau pragmatisme de la politique américaine arabe oblige.
Le peuple mauritanien ne se délecte pas dans la servitude et aspire à la liberté.
Le peuple mauritanien, comme tous les peuples de la terre, ne se délecte pas dans la servitude et aspire à la liberté. Mais s’il aime écouter le message de la démocratie, il rechigne à croire le «messager». La démocratie n’est pas un produit exportable. Elle est davantage une culture et de ce fait elle se développe à l’intérieur d’une culture, d’une société qui lui donne une coloration spécifique. L’idée de réformer de l’extérieur, quasi manu militari, paraît pour le moins saugrenue. Pour être entendus, les Etats-Unis doivent être au-dessus de tout soupçon. Or, ni leur complaisance passée et présente avec des régimes arabes autoritaires et cleptomanes, ni leur mépris du droit international dans les prisons d’Abu Ghraïb ou les prisons «extra-muros» de Guantanamo, ni à fortiori leur chevauchée guerrière en Iraq et leur complicité avec l’occupant israélien en Palestine et au Golan n’offrent de garanties quant à la sincérité du messager. En d’autres termes, comment peut-on transformer le «Grand Moyen Orient» tant qu’Israël continue à bénéficier d’une sorte d’ «immunité diplomatique» qui lui procure un statut commode d’ «Etat intouchable.» Et quelle leçon de démocratie un Arabe peut-il tirer de ces pays qui, des prisons obscures de Guantanamo au sang versé par les soldats américains et israéliens en Irak et en Palestine, donnent une image réelle de cet obscurantisme occidental ?
Le Général Aziz est certes dans la ligne de mire des Américains, mais des soldats gangsters américains n’ont-ils pas reconnu récemment qu’ils dirigent désormais leurs feux sur le Livre Saint du Coran qu’ils utilisent comme cible de tir armé dans les champs d’entraînement.
Par Moussa Ould Ebnou
Date publication par ANI.MR : 23-06-2009 18:45:43